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Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)

Activités

Charenton-le-Pont, 28 avril 2011
Commémoration du 96e anniversaire du génocide de 1915


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La Municipalité de Charenton-le-Pont et l'Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée vous ont invité à assister à la cérémonie de Dépôt de gerbe devant le Khatchkar de Charenton-le-Pont (94220), rue Paul-Eluard-angle rue des Bordeaux, le Jeudi 28 avril 2011 à 17 heures 30.
La cérémonie a eu lieu en présence de :
  • M. Hervé Gicquel, Premier adjoint au Maire de Charenton-le-Pont, représentant expressément M. Jean-Marie BRETILLON, Maire de Charenton-le-Pont, Conseiller général du Val-de-Marne, empêché pour raison de santé
  • Membres du conseil municipal de Charenton-le-Pont
  • Membres du Conseil d'administration de l'ACAM
  • Donateur du monument
  • Anciens combattants arméniens
  • Autres personnalités civiles et religieuses.
  • Voir l'affiche

    Compte rendu de la cérémonie
    Allocution d'Annie Pilibossian, présidente de l'ACAM


  • Photos © Philippe Pilibossian

    Charenton 2011 - Le Khatchkar --- Cliquer pour agrandir
    Devant le monument, avant la cérémonie, Roger Tcherpachian, donateur du khatchkar, entouré des anciens combattants arméniens de l'armée française, Krikor et André
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    De g. à d. Mme N, Krikor, ancien combattant arménien, Mme Nhu Mai Nguyen Dac, journaliste de publications de francophonie, Roger Tcherpachian, donateur du monument, André, ancien combattant arménien, et Mme Annie Pilibossian, Présidente de l'ACAM.

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    Hervé Gicquel, Premier-adjoint au Maire de Charenton-le-Pont, prononçant son allocution

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    Annie Pilibossian, Présidente de l'ACAM, prononçant son allocution

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    Annie Pilibossian s'adressant à l'assistance
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    Vue d'ensemble de l'assistance (sous les parapluies)

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    Les officiels religieux et civils, de g. à d., 3e Père Dirayr Kélédjian, 4e Hervé Gicquel, 5e du Conseil municipal de Charenton-le-Pont, 6e Mme Nelly D'Haenc, Adjointe au Maire de Saint-Maurice

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    Dépôt de la gerbe de la Municipalité de Charenton-le-Pont
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    Dépôt de la gerbe de la Municipalité de Saint-Maurice

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    Dépôt de la gerbe de l'ACAM

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    Dépôt de la gerbe des Anciens combattants arméniens de l'armée française (Jacques Demirdjian et André Ntourgoutian)
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    Ancien combattant arménien de l'armée française (Krikor, ancien d'Algérie), avec le tricolore arménien

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    Les prières, conduites par le Père Dirayr Kélédjian

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    Chants des écoliers de l'école Saint Mesrob d'Alfortville, à droite M. Yorganciyan, chef de la chorale


    Compte rendu de la cérémonie

    Cette année la population était invitée à rendre hommage aux victimes du génocide arménien lors d’une cérémonie commémorative autour du monument khatchkar, le jeudi 28 avril 2011. Comme tous les ans, le programme de la soirée fut dévoilé devant le public en présence des membres du conseil municipal de la ville de Charenton-le-Pont, des anciens combattants arméniens, des religieux, du donateur du monument aux morts et devant nos invités – M. Gilles-Maurice Belaïche, conseiller régional d’Île de France, le deuxième Maire-adjoint de la ville de Saint-Maurice, ainsi que Mme Nhu Mai Nguen Dac, journaliste vietnamienne, fervente défenseure de la francophonie. En l’absence de Monsieur le Maire de Charenton, c’est M. Hervé Gicquel, Premier-adjoint au maire qui a prononcé une courte allocution d’introduction devant un jeune auditoire, composé en grande partie d’élèves de l’école arménienne d’Alfortville et de leurs parents.

    Ensuite, Mme Annie Pilibossian au nom de l’ACAM et des Arméniens présents à la cérémonie a prononcé un long discours, dans lequel elle a évoqué le contexte politique au sein de l’Empire ottoman, qui a conduit au génocide ; les travaux historiques importants des spécialistes, ayant abouti aux actions légales, relatives à la reconnaissance du crime de génocide en France et sur le plan international ; le négationnisme étatique de la république turque actuelle. Enfin, elle a lu quelques extraits du récit La Prière de l’Immortelle d’Arménak Hagopian, tiré de l’ouvrage Nos terres d’enfance, l’Arménie des souvenirs, publication des Éditions Parenthèses.

    Le dépôt des gerbes et la minute de silence ont précédé les hymnes nationaux français et arménien. Après les prières, nous avons eu la joie d’accueillir la chorale des élèves de l’école primaire franco-arménienne Sourp Mesrob d’Alfortville qui a interprété quelques chants traditionnels arméniens, sous la direction de M. Yorgandjian. L’assistance a encouragé les jeunes chanteurs avec des applaudissements. Pour clore la cérémonie, Mme Annie Pilibossian remercia vivement les officiels et l’assistance pour leur présence chaleureuse.


    Allocution de Mme Annie Pilibossian, présidente de l’ACAM

    Mon Révérend Père,
    Monsieur le Premier adjoint au Maire de Charenton,
    Mesdames et Messieurs les élus de la ville de Charenton,
    Madame le Maire-adjoint de la ville de Saint-Maurice,
    Monsieur le Conseiller régional d’Île de France,
    Mesdames et Messieurs et chers amis,

    Tous les ans, le 24 avril les Arméniens du monde entier commémorent l’anniversaire du premier génocide du XXe s. perpétré en Turquie contre le peuple arménien. Entre le printemps 1915 et l’automne 1916, alors que le monde est préoccupé par la Grande Guerre, le gouvernement turc, en particulier les fondateurs du mouvement Jeunes-Turcs, les bourreaux Talaat, Enver, Nazim, Chakir, Enver, décident de régler une fois pour toute la présence arménienne dans l’Empire ottoman par extermination. Plus d’un million cinq cent mille hommes, femmes et enfants innocents sont ainsi sauvagement assassinés, torturés, brûlés, violés, chassés ou déportés de leur terre ancestrale. Rappelons que tout acte commis dans le dessein de détruire méthodiquement un peuple ou un groupe ethnique en peu de temps est qualifié de génocide, selon la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée en décembre 1948.
    De nombreux faits attestent que les gouvernants planifiaient également à détruire le patrimoine culturel et historique arménien, c. à d. les témoins matériels de la civilisation millénaire de l’Arménie.
    Loin de reconnaître le crime, dont elle est l’auteur, la Turquie républicaine continue sa politique de destruction dès la fin des années vingt avec le changement des noms des sites géographiques, des villes, ou des bourgades arméniens par des noms turquifiés, afin d’effacer les traces d’une présence, jugée indésirable. Régulièrement, de nouvelles provocations viennent confirmer ces énoncés. Récemment, dans la cathédrale Sainte Vierge (haut lieu du christianisme arménien) de la ville d’Ani, ancienne capitale médiévale de l’Arménie et dont la France avait demandé l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO, un parti turc d’extrême droite a obtenu autorisation de tenir une « prière » musulmane. Aussitôt, la prière a été transformée en manifestation avec drapeaux et emblèmes, symboles de la domination turque.
    Pendant des décennies, le meurtre collectif de plus d’un million et demi d’Arméniens a eu un impact relativement faible sur la conscience publique. Les États, les hommes politiques ne s’aventurèrent guère à défendre notre cause, la dénégation systématique et universelle de l’extermination empêchaient tout véritable travail de nature historiographique. Les Arméniens ont eu leur mémoire pour seule preuve de leur histoire, transmise aux générations successives.
    Cette situation commence à changer à partir des années soixante-dix, lorsque des études sur le génocide imposent l’idée d’un examen comparé. Des travaux historiques importants voient le jour, des spécialistes réfléchissent pour engager des actions légales du point de vue du droit international et établir la relation entre crime de guerre et crime contre l’humanité. Ce n’est que récemment, que les grandes institutions internationales – telles les Nations Unis, le Parlement européen, ainsi que des Parlements nationaux ont officiellement reconnu le génocide arménien. Derniers votes en date, le parlement régional en Espagne, et plus précisément aux Iles Baléares, et en Angleterre, le conseil municipal du quartier londonien d’Ealing.
    En France, il y a dix ans, la promulgation de la loi reconnaissant le génocide arménien a représenté une victoire d’étape importante, que nous, descendants des rescapés menons depuis fort longtemps. Cette loi, purement déclarative, ne protège hélas pas le peuple arménien dans l’atteinte de sa dignité, puisque le négationnisme républicain turc prend un caractère arménophobe, qui relève du racisme. Les exemples ne manquent pas, fin mars 2011, profitant de la tenue du salon du livre à Paris, le pavillon turc distribue gratuitement aux visiteurs un ouvrage d’histoire en langue française, édité par le ministère turc de la culture, au contenu défendant les thèses de propagande négationnistes et qui falsifient l’histoire.

    Mesdames et Messieurs, la communauté arménienne souhaite, que le parlement français aille jusqu’au bout de la logique de la loi et fasse adopter définitivement la proposition de la loi, pénalisant le négationnisme. Cependant, nous avons été véritablement choqué par les révélations de WikiLeaks sur le double discours du président français. Alors que le candidat écrivait dans un courrier adressé au comité représentatif des associations arméniennes la nécessité d’adoption d’une loi, pénalisant la négation du génocide arménien, un mois plus tard, à peine élu président, il dépêchait son conseiller diplomatique à Ankara pour rassurer les autorités turques que la loi serait enterrée au Sénat. Le texte de la proposition de loi, qui tente à réprimer la contestation de l’existence du génocide arménien a été adopté à l’Assemblée nationale le 12 octobre 2006, puis transmis au Sénat qui refuse de l’inscrire à l’ordre du jour. Le 12 mars dernier, devant le Sénat, la communauté arménienne, par la voix de nombreuses personnalités a demandé aux sénateurs de mettre à l’ordre du jour de l’assemblée la proposition de loi. Nous exigeons que cette mobilisation aboutisse rapidement sur la reprise tant attendue du processus législatif.
    Pourquoi le génocide des Arméniens est si difficile à reconnaître ?
    Pourquoi plus de 95 ans après les faits, la Turquie continue de nier le crime et bénéficie du silence des grandes puissances ?
    Nous nous posons souvent ces questions essentielles. Nous savons que du point de vue du droit international, dans le cas arménien jamais les responsables ne furent soumis à des procédures pénales, aucune action de prévention n’a été entreprise après les massacres qui ont précédés le génocide pour éviter ce qui allait s’en suivre.
    Le journaliste d’investigation allemand Éric Friedler apporte des réponses précises à ces mêmes questions de façon bouleversante et moderne. Dans son film documentaire intitulé Aghet (Catastrophe) et diffusé la semaine dernière sur la chaine de TV Arte, l’auteur rend vivants les témoins du passé, en leur redonnant un visage et une voix. Ainsi, les téléspectateurs entendent clairement des diplomates dire ce qui s’est passé, alors il semble absurde que la Turquie continue de nier les faits…
    Et pourtant, prenons l’exemple du monument érigé à l’amitié arméno turque dans la ville de Kars, proche de la frontière avec l’Arménie. Il reste inachevé, l’administration turque l’ayant déclarée bon à détruire. Pour l’instant la sculpture est provisoirement sauvée par une décision de justice et le sculpteur turc a décidé de poursuivre le premier ministre. Autre exemple, la signature récente de deux protocoles d’accord qui prévoyaient l’instauration des relations diplomatiques entre les États arménien et turc, fondée sur l’ouverture de la frontière commune. Elle s’est soldée par un échec, on n’en parle plus. La diplomatie turque soutient l’Azerbaïdjan allié sur la question de l’enclave arménienne du Haut Karabakh. Pourtant, les intellectuels et démocrates turcs accomplissent un travail important pour le rapprochement des deux peuples. Ainsi, en Arménie, au mois de mars, une conférence internationale sur le thème du génocide réunit des intellectuels, parmi lesquels des Turcs, initiateurs de la pétition, demandant pardon au peuple arménien. D’autres initiatives, en Turquie, cette fois-ci, où depuis l’année dernière la commémoration du 24 avril se fait dans les rues de plusieurs villes, Ankara, Istanbul, Diyarbakir, Bodrum, Bursa... La mémoire du journaliste turc d’origine arménienne et ancien rédacteur en chef du journal Agos, Hrant Dink, sauvagement assassiné il y a quatre ans à Istanbul est toujours vivante, mais le procès n’a pas répondu aux exigences de justice. Dans un arrêt rendu le 14 octobre 2010, la Cour européenne des droits de l’homme remet en cause la crédibilité des poursuites, engagées à ce jour par les autorités turques contre les commanditaires de l’assassinat.
    De l’autre côté de la plaine du mont Ararat, la jeune république d’Arménie fête cette année le vingtième anniversaire de son indépendance. C’est l’occasion pour des milliers d’Arméniens qui visitent le pays de se rendre au mémorial Dzidzernagapert, à proximité de la capitale Erevan, monument dédié aux victimes du génocide, dont la flamme éternelle et l’architecture en forme de rayons du soleil rappelle à la foule incessante, qui y afflue pour se recueillir, combien la mémoire de nos ancêtres est encore vivante.
    Elle est vivante aussi en France, puisque les élus de la république française sont à nos côtés en ce jour de deuil pour nous, citoyens français d’origine arménienne. Alors, je vous dis merci, au nom de la communauté arménienne de Marne-la-Vallée, au nom des Arméniens présents ce soir à la commémoration, merci de votre soutien actif et fidèle à notre cause.
    Chaque année, nos amis les anciens combattants et résistants arméniens prennent l’engagement de donner à cette humble cérémonie une allure plus vivante. Votre présence, Messieurs, à nos côtés, avec ces drapeaux, chargés d’histoire, rappelle à juste titre l’engagement et la totale fidélité depuis des décennies des Arméniens à la France.

    Notre hommage serait incomplet sans les prières et les chants religieux, qui accompagnent dignement le recueillement et honorent la mémoire de nos chers ancêtres disparus, grâce à Père Dirayr Kélédjian, les diacres de la paroisse de l’église apostolique arménienne St Paul et St Pierre d’Alfortville.
    Enfin nos chaleureux remerciements sont adressés aux élèves de la chorale de l’école franco-arménienne Sourp Mesrob d’Alfortville et à leur responsable. Vous le savez, depuis 1988 notre association œuvre pour la sauvegarde du patrimoine culturel arménien, encourage les talents artistiques, fait la promotion de livres et de DVD. Notre publication biannuelle Bulletin de l’ACAM, ainsi que notre site Internet www. acam-france.org répertorient les nouveaux ouvrages écrits sur les Arméniens et l’Arménie en langue française. À ce jour notre bibliographie a référencé 1631 livres pour 835 auteurs. Parmi les nouvelles éditions, que nous recevons en service de presse, je signale le livre Jihad et génocide nucléaire de Richard Rubenstein, président émérite de l’Université de Bridgeport (Connecticut), qui consacre un chapitre au génocide arménien.
    L’ouvrage dont je veux vous parler aujourd’hui s’appelle Nos terres d’enfance l’Arménie des souvenirs, des Éditions Parenthèses. 43 textes, qui racontent des terres d’enfance arménienne à travers des œuvres artistiques ou mémorielles, rassemblés et traduit par Anahide Ter Minassian et Houri Varjabédian. Le texte qui nous intéresse ce soir s’appelle La prière de l’Immortelle, extrait de À la mémoire de ma mère Antaram, d’Arménak Hagopian.
    Ce terrible témoignage d’Arménak Hagopian, refugié dans la banlieue sud de Paris a été remarqué par Chavarche Missakian, fondateur et directeur du quotidien en langue arménienne Haratch, qui le publie en 1953.
    Arménag est le fils aîné d’une famille de quatre enfants. Au printemps–été 1915 il se trouve exilé, dans l’attente de la mort avec sa mère, ses frères et sa sœur, quelque part dans la région située autour du lac de Van.
    … C'était la nuit. Nous étions environ trois cents femmes et enfants entassés dans une de ces maisons enfouies dans la terre du quartier Kharaba-Chéhir d’Akhlat. Soudain la rumeur se répandit que les Turcs avaient allumé des torches et qu'ils se dirigeaient vers notre cachette. Aussitôt, la panique gagna la foule déjà à demi consumée. Chacun, mettant un doigt sur ses lèvres, recommanda de ne souffler mot. Terrorisés, les gamins s'agrippèrent aux jupes de leur mère, cachant leur visage dans leur buste squelettique, mais tournant parfois le regard vers l'extérieur pour voir lorsqu'entreraient les monstres assoiffés de sang et lequel serait leur première victime.
    Juste à ce moment-là, mon petit frère, âgé à peine d'un an et demi, se mit à pleurer de toutes ses forces. Il était impossible de le faire taire. Nous n'avions ni pain ni morceau de sucre pour le mystifier. De tout côté, on se rua sur ma mère en lui disant:
    - Vite, étrangle l'enfant sinon, non seulement ils vont l'entendre, mais ils vont arriver et nous massacrer tous !
    … Ma mère leur dit avec colère:
    - Impies, comment voulez-vous qu'une mère étrangle une partie de son âme ?
    Puis se tournant vers nous, elle nous recommanda de rester à l'intérieur, tandis qu'elle prenait son fils et sortait en disant :
    - Voilà, je sors avec mon garçon. Que l'on me tue!
    Avec ma sœur et mon frère, nous la suivîmes.
    Dehors, il faisait sombre. Nous ne savions pas où aller. Prenant un chemin, nous nous éloignâmes pour ne pas révéler la cachette par notre présence.
    Ayant trouvé une source, nous nous arrêtâmes. Mon frère pleurait toujours. Ma mère lui fit boire de l'eau dans sa paume, mais les pleurs redoublèrent de plus belle. L’enlevant de son sein, elle le mit à terre et, tendant ses mains au ciel, elle dit, secouée par les sanglots:
    - Mon Dieu, toi qui es là-haut et qui nous vois ici, je te demande, je te supplie d'entendre ma prière ! Voilà ici mes quatre enfants, garde-les, protège-les de ta force, que deux d'entre eux soient madagh' pour toi, mais gardes-en deux pour moi ! Je suis une mère et c'est les yeux pleins de larmes que je t'adresse cette supplique en cette sombre nuit. Écoute ma supplique et arrête les cris de ce petit innocent. Fais-le, comme tu l'entends !
    Miracle ! Mon frère qui pleurait jusqu'à cet instant, se tut. Affamés et ayant seulement bu de l'eau, nous regagnâmes tous notre précédent refuge.
    Le lendemain matin… Tout au long du chemin, sous les buissons, de nombreux enfants étaient abandonnés ; ils se retournaient dans tous les sens et appelaient leurs mères en pleurant. L’affolement était tel que la mère reniait son enfant. Des centaines d'entre eux avaient rendu l'âme sous les poignards et les haches des Kurdes, et ceux qui avaient échappé aux Kurdes étaient massacrés par les Turcs ou étaient jetés à l'eau.
    Ma mère, malgré son état morbide, nous sauva. En nous cachant le jour, en marchant la nuit, nous arrivâmes à Artzké où l'armée russe avait installé ses logis depuis des mois.
    Beaucoup de femmes furent sauvées grâce à ma mère. Mais elles pleuraient sans arrêt. Elles étaient tourmentées, car elles avaient abandonné leurs enfants.
    Sans maladie apparente, mes frères moururent, le plus petit dans le village de Gotchéré et le plus grand dans celui d'Ororan. Nous avons creusé une tombe et nous les avons enterrés.
    Alors que ma sœur et moi nous pleurions sur leur mort, ma mère disait en sanglotant:
    - Eux, je les avais promis à Dieu, comme madagh. Ils étaient la part de Dieu. Il les a emportés...

    Face à la recrudescence des violences dans le monde actuel, face à la multiplication des déplacements forcés et massacres de populations, nous, descendants des rescapés du génocide des Arméniens de 1915, nous demandons aux décideurs politiques de punir sans plus attendre le crime pour prendre les devant d’un génocide.

    Charenton, le 28 avril 2011
    Annie Pilibossian, présidente de l'ACAM


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