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Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)

L'orthographe arménienne
"occidentale" ou "orientale" ?

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par V. Miskdjian
texte publié dans France-Arménie, numéro 167, Mai 1997.
  • Orthographes, Choisir la bonne orthographe
    0rthographes... Au pluriel. La langue arménienne a en effet, deux orthographes: la classique, la soviétique. Toutes deux considérées comme correctes.
    Deux orthographes, comme nous avions naguère deux drapeaux: le tricolore et le soviétique. Avec l'écroulement de l'empire de Moscou, le soviétique est mis au rancart. L'unité est faite. Heureusement. Rappelons que cette dualité de pavillons a fait des morts... A Grenoble, à New-York. Ailleurs aussi, peut-être, que j'ignore. Je ne pense pas que les partisans de l'une ou de l'autre des orthographes nous conduisent à de telles extrémités, mais je crois qu'il y a un autre danger. Danger de dérouter les jeunes de la Diaspora, désireux d'apprendre à écrire leur langue maternelle. Danger de les pousser au renoncement...

  • L'orthographe par décret
    Je précise, les propos qui vont suivre ne concernent pas la langue, mais seulement l'orthographe. Au fait, de quoi s'agit-il ?

    Dans les années 20, aussitôt après leur prise de pouvoir en Arménie, nos communistes, toujours à l'avant-garde, en proie à la furie révolutionnaire, à la recherche de choses à changer, s'attaquèrent à la langue. Les Arméniens n'étaient, du reste, pas les seuls. De telles initiatives prirent naissance aussi dans d'autres républiques. Peut-être sur ordre du Comité Central de Moscou, je n'en ai pas la preuve. Il fut même question de faire adopter à tous les peuples soviétisés l'alphabet cyrillique (russe).
    Certains ont marché. L'Azerbaïdjan, par exemple. Après un passage par l'alphabet latin - pour imiter sans doute la Turquie - Bakou a adopté, en 1939, l'écriture russe qui est également utilisée dans les républiques à populations musulmanes d'Asie Centrale. Elles ont renoncé à l'alphabet arabe qui était aussi celui d'Azerbaïdjan. L'Arménie put éviter cette insulte à sa culture ancestrale, mais elle dut modifier son orthographe, la "révolutionner !" Les dirigeants communistes firent appel à un linguiste réputé, à Manouk Apeghian, qui chercha, probablement, à limiter les dégâts, mais sortit tout de même une orthographe assez différente de la classique et, par certains côtés, déroutante. Par un décret daté du 4 mars 1922, les "Commissaires du Peuple" imposèrent à la langue arménienne une nouvelle orthographe. Un fossé de plus se créait entre la Patrie et la Diaspora occidentale. L'orthographe "Apeghian" reste toujours en vigueur en Arménie, avec, il est vrai, quelques petites modifications, considérées comme des améliorations. Quant à la Diaspora occidentale, elle demeure fidèle à l'orthographe de Mesrob Machtotz, codifiée selon les principes légués par le Vartabed. Fidèle entièrement ? ...
    Hélas! pas toujours.
    Ces derniers temps notamment, des écrits en arménien, insérés dans quelques publications d'associations, en France, sont imprimés dans l'orthographe soviétique. En général, du reste, dans un arménien approximatif, hésitant, truffé de quelques fautes de syntaxe. Je pense donc que cet état de faits risque de décourager nos jeunes désireux d'apprendre leur langue maternelle. D'où l'initiative de cet article, un peu long ; je m'en excuse auprès des lecteurs de "France-Arménie".

  • Faire un choix
    Je crois, avec beaucoup d'autres, il me semble, que tôt ou tard la Ille, République d'Arménie retrouvera l'orthographe classique que la Diaspora a conservée avec, parfois, mille sacrifices pour garder vivantes ses écoles.
    Nos dirigeants d'Erevan ont, actuellement, des soucis beaucoup plus pressants que celui du problème d'orthographe. On comprend leur immobilisme du moment en cette matière. Par contre, on comprend mal que les "hayastanassères" de la Diaspora, en Occident, cherchent à appliquer l'orthographe soviétique, sous prétexte que c'est l'orthographe d'Etat. Comme naguère ou jadis, on disait que le drapeau tricolore ne représentait rien, puisqu'il n'était pas le drapeau de notre Etat (soviétique). Il ne fallait pas l'arborer...
    Il me paraît inimaginable qu'on puisse imposer aux écoles arméniennes du Liban, de la Syrie ou d'Istanbul d'enseigner l'arménien selon le décret soviétique de 1922. Encore moins de faire accepter ce décret par les Mekhitaristes de Venise, de Vienne, véritables académies de notre langue maternelle.

    A son passage à Lyon, dans une conférence de presse, j'ai demandé à Sa Sainteté Karékine 1er quelle était la position de notre Eglise Apostolique envers le problème de l'orthographe. `L'Eglise n'a pas encore une position, répondit-il, car ce problème n'a pas été encore examiné. Si vous voulez mon opinion personnelle, ma préférence va à l'orthographe classique. Pour ma part, j'utilise dans mes écrits, à Etchmiadzine, l'orthographe classique."
    Du reste, en Arménie, il y a des brèches. Des livres sont édités en orthographe classique. La dernière publication portée à ma connaissance, est celle de Varastad Haroutiounian, professeur d'architecture, dont l'ouvrage a été imprimé à Etchmiadzine. Il traite des Catholicos bâtisseurs "Sourp Etchmiadzini chinarar kahagalnere."
    Il est bon de rappeler également que, pendant le régime soviétique, le "Krapar" la langue ancienne, la langue de l'Eglise, a été enseignée à Erevan dans l'orthographe classique. En conclusion, il me parait malsain et nuisible pour la défense de l'arménité de vouloir utiliser dans notre Diaspora l'orthographe soviétique, sous prétexte qu'elle est encore celle de l'Arménie indépendante. Cela ne pourrait que retarder l'unité désirable et surtout dérouter les jeunes, face à deux orthographes différentes et les pousser à renoncer à l'étude de l'arménien.

    V. Miskdjian


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