1923 - Création de la première chorale arménienne de Paris. Elle prend le nom
de SIPAN (montagne d'Arménie ) et a pour chef Sako Hagopian. Nechane Serkoyan crée, la même année, la chorale KOMITAS en l'honneur du compositeur arménien.
1931 - Les deux chorales s'unissent le temps d'un concert, pour le 60e anniversaire du R.P. Komitas.
1936 - Le 2 octobre 1936, les chorales SIPAN et KOMITAS fusionnent et prennent le nom de
" CHOEUR MIXTE ARMENIEN DE PARIS - SIPAN-KOMITAS". Le choeur est placé sous la direction d'Ara Bartévian.
1942 - Kourkène Alemshah prend la direction de Sipan-Komitas.
1953 - Après le décès d'Alemshah, une nouvelle carrière s'ouvre à Sipan-Komitas avec l'arrivée de son chef actuel Garbis Aprikian.
2009 - Le 13 mars, Garbis Aprikian, dirige son concert d'adieu en l'Eglise Saint-Vincent-de-Paul à Paris, et transmet le flambeau à Haïg Sarkissian.
Article d’Élisabeth Baudourian, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 234, Novembre 2016
Avant le concert que la chorale Sipan-Komitas donnera le 25 novembre 2016 en l'église St-Eustache, rencontre avec son chef à la Maison de la Culture Arménienne de Paris où les chanteurs répètent chaque mardi soir. Un musicien réservé, modeste mais passionné, qui voue un véritable culte à Komitas.
Nouvelles d'Arménie Magazine : Pourquoi avez-vous choisi pour la troisième fois de vous produire en l'église St-Eustache ?
Haïg Sarkissian : C'est un lieu prestigieux que j'apprécie particulièrement et où la majorité du public n'est pas d'origine arménienne. Un signe que la musique arménienne, et plus particulièrement celle de Komitas, mérite une plus large diffusion. Et c'est d'ailleurs la mission de notre chorale: faire découvrir l'œuvre de Komitas. Depuis l'an dernier, les chanteurs interprètent des chants inédits que j'ai trouvés dans le 8e volume de ses œuvres publié à Erevan ces dernières années. Ainsi nous est parvenue une messe retranscrite pour un chœur mixte, dont nous allons interpréter des extraits pour la première fois.
NAM : Y aura-t-il d'autres nouveautés?
H. S. : Oui, essentiellement dans la seconde partie du programme qui commencera par Havoun Havoun, une œuvre de Grégoire de Narek par la soprano lyrique Naïra Abrahamian, pour qui j'ai beaucoup d'estime et de respect. Puis la chorale interprètera pour la première fois Moutn'er de Garbis Aprikian. Autre nouveauté : deux extraits de l'opéra Anouch d'Armen Dikranian. La première partie est essentiellement composée d'œuvres interprétées lors du concert du 18 juin, auxquelles se rajoutent deux nouveaux chants populaires de Komitas. Comme lors de nos derniers concerts, nous serons accompagnés par David Lauer à l'orgue et au piano.
NAM : Combien la chorale compte-t-elle de membres?
H. S. : La chorale est actuellement composée d'une quarantaine de chanteurs dont une majorité de femmes. Depuis 2010, elle s'est enrichie d'une vingtaine de nouveaux membres et parmi eux des chanteurs uniquement francophones dont la mère ou la grand-mère est d'origine arménienne et qui, à travers la musique, se rapprochent de leurs racines.
NAM : Aimeriez-vous accueillir davantage de chanteurs?
H. S. : Absolument car le renouvèlement est nécessaire. À l'occasion des grands concerts, comme celui que nous allons donner, je fais appel à des renforts. Environ six chanteurs français viennent enrichir notre chorale car il nous manque certaines tessitures. En outre, leur présence est très bénéfique à nos membres qui se perfectionnent ainsi à leur contact. Ce sont toujours les mêmes qui nous rejoignent car ils apprécient la musique de Komitas. À une époque où la variété arménienne est davantage valorisée, il est plus que jamais nécessaire de maintenir la qualité de Komitas. Nous aurions besoin d'un mécène pour soutenir la chorale. Les chanteurs s'acquittent d'une cotisation qui sert à payer le modeste loyer de la salle de répétition. Quant aux concerts, une fois payée la location du lieu, ainsi que les solistes, je dois dire que nous sommes satisfaits lorsque nous arrivons à équilibrer nos comptes.
NAM : Quand vous est venue la vocation de la direction chorale ?
H. S. : Au lycée Melkonian de Chypre, après que le compositeur Sebouh Abkarian, m'a demandé de le remplacer à la direction de la chorale du lycée alors que je n'avais que 18 ans. Par la suite, je suis allé à Erevan où, après un examen éprouvant, j'ai fréquenté durant quatre ans l'Institut de Musique Aram Khatchadourian avant d'intégrer le Conservatoire Komitas d'Erevan dont j'ai suivi l'enseignement pendant quatre ans.
NAM : À l'instar de Komitas, vous avez effectué une mission d'ethnomusicologie durant vos études en Arménie.
H. S. : (Il lève les yeux au ciel) Personne ne peut être comparé à Komitas! Qui suis-je? La plupart des Arméniens ne reconnaissent pas le génie de cet homme. Komitas ne doit pas être seulement le symbole de la souffrance du peuple arménien durant le génocide. Il ne suffit pas de se réunir une fois par an autour de sa statue pour lui rendre hommage. Ses arrangements sont extraordinaires : chacune de ses harmonies peut constituer une mélodie. Dans le domaine choral, il n'y a pas d'équivalent notamment pour l'harmonie entre les paroles et la musique. En outre, Komitas a su expurger les éléments turcs et arabes des chants populaires arméniens. Il a permis au peuple arménien de s'approprier tout un patrimoine musical dont il avait perdu la trace.
NAM : Revenons sur votre mission d'ethnomusicologie en Arménie.?
H. S. : J'étais passionné par les chants populaires. Durant mes études en Arménie, à ma grande joie, une professeure m'a proposé de me rendre avec elle dans les campagnes pour enregistrer les chants des paysans. Nous sommes allés dans des villages où des Arméniens venus de l'Empire ottoman s'étaient établis après le génocide. Il y en avait autour du lac Sevan. À l'aide d'un vieux magnétophone soviétique, j'ai enregistré de vieux paysans qui nous ont interprété des chants de labours, de moissons, venus de Mouch, du Sassoun... C'était une expérience magnifique que je n'oublierai jamais. Ces chants traditionnels qui appartiennent au patrimoine culturel arménien ont une grande valeur ethnographique. Puis j'ai effectué le même travail en Égypte. Je me souviens dans une maison de retraite du Caire d'un vieil aveugle qui m'a chanté une chanson sur un mariage qui n'a jamais eu lieu à cause du génocide. Une chanson peut avoir aussi une valeur historique.
NAM : Pourquoi avoir quitté Le Caire où vous dirigiez le chœur du Conservatoire d'Égypte et meniez une carrière de compositeur ?
H. S. : À la demande du gouvernement égyptien, nous nous produisions dans différentes manifestations culturelles dans le pays mais aussi à l'étranger. Progressivement, j'ai introduit des chants de Komitas jusqu'à ce que le poids religieux devienne pour moi insupportable. L'élément déclencheur de mon départ d'Égypte a été mon refus de me rendre avec le chœur en Turquie où nous devions interpréter l'hymne national. À cela s'ajoute le fait que la communauté arménienne du Caire s'était rétrécie comme peau de chagrin et avec elle la chorale arménienne que je dirigeais.
NAM : Pourquoi avoir choisi de venir en France?
H.S. : C'était une évidence même si je n'y étais jamais venu avant. Tout m'attirait. Une fois arrivé en France, je me suis dit que les Arméniens y disposaient d'un certain nombre d'atouts considérables et je dois dire que je n'ai jamais regretté ce choix.
NAM : Succéder à Garbis Aprikian qui a dirigé la chorale Sipan-Komitas durant 57 ans n'a pas dû être une tâche aisée...
H. S. : Nous avions travaillé ensemble à la création de David de Sassoun, où je dirigeais le chœur des élèves de l'école Tebrotzassère. Je pense que c'est à ce moment-là qu'il a pensé à moi pour prendre sa succession à la tête de la chorale. Et je dois dire que je suis très honoré de lui avoir succédé. J'y maintiens la tradition classique avec Komitas et d'autres compositeurs tandis qu'à la chorale Koghtan de l'UGAB, que j'ai fondée en 1992, le programme comprend les chansons populaires de Komitas mais aussi de Khatchadour Avedissian dont je signe les arrangements. Je dirige également les chorales de la Croix Bleue et celle d'Antony.
NAM : Est-ce que le directeur de l'école Tebrotzassère est un homme heureux?
H. S. : En effet, c'est une joie pour moi de voir le nombre de nos élèves en constante augmentation chaque année. En 2004, il y avait 84 collégiens et, à présent, ils sont 124. Le matin je prends mon oxygène avec les élèves du Tebrotzassère et le soir avec les chanteurs!
Propos recueillis par Elisabeth Baudourian, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 234, Novembre 2016