InaugurationLe maire de Paris Bertrand Delanoë a inauguré jeudi une statue en hommage aux victimes du génocide arménien de 1915 en présence de centaines de sympathisants de la cause arménienne, dont le chanteur Charles Aznavour et le ministre délégué aux Libertés locales Patrick Devedjian.
Cette statue en bronze, haute de six mètres avec son socle, représente le révérend père Komitas, compositeur et théologien, déporté de Constantinople (Istanbul) en 1915 avec d'autres intellectuels arméniens. Il survivra au génocide mais sombrera dans la folie avant de mourir à Paris en 1935.
La statue, oeuvre du sculpteur David Erevantsi, érigée place du Canada, dans le 8e arrondissement de Paris, entre la Seine et le Grand Palais, tout près de la cathédrale arménienne, a été inaugurée le jour du 88e anniversaire du début du génocide, en présence également de l'ambassadeur d'Arménie en France, Edward Nalbandian.
Texte de adl.hayway.org :
Premières démarches et gel du projet
Le 27 janvier 1978, Monseigneur Manoukian, Archevêque des Arméniens de Paris et Délégué pour l'Europe du Catholicossat d'Etchmiatzine, adresse une lettre au maire de Paris, Jacques Chirac, au nom de la communauté arménienne. C'est la première démarche pour faire ériger dans la capitale un monument commémoratif à la mémoire des victimes du Génocide Arménien. Le maire répond positivement par une lettre datée du 15 septembre 1978. Les représentants désignés de la communauté arménienne sont Maître Armand Barséghian et M. Roger Tcherpachian. Après un premier emplacement prévu au débouché du Pont des Invalides sur la rive droite, le lieu choisi est l'angle de l'avenue F. Roosevelt et l'avenue du Général Eisenhower. Les architectes chargés du projet sont Sarxian et Langlois. Après neuf années de démarches, et malgré de nombreuses avancées, l'affaire semble bloquée. Monseigneur Kude Nacachian, successeur de Monseigneur Manoukian, décédé, s'adresse au maire de Paris le 22 octobre 1987 en rappelant toutes les étapes du projet et notamment l'accord de la Commission des sites sur un projet de stèle de dimensions plus réduites, émis le 18 juin 1987, et l'approbation du Conseil de Paris. La lettre de Monseigneur Nacachian reste sans réponse. Après cela, malgré des relances sporadiques, le projet reste gelé pour une longue période. Les aléas des relations entre les États français et turc ont manifestement contribué à ce blocage.
Renaissance du projet 19 ans après, sous l'impulsion du Comité du 24 Avril
Alors que le projet d'un monument du Génocide de 1915 est totalement gelé, le Comité du 24 Avril se saisit de l'affaire et la relance par une lettre adressée au maire de Paris, Jean Tibéri, signée de son président Jean V. Guréghian, le 17 janvier 1997 (voir ci-joint). C'est-à-dire 19 ans après la première lettre (presque jour pour jour) du 27 janvier 1978 de Monseigneur Manoukian à Jacques Chirac. Elle est très vite suivie, une semaine après, d'une seconde lettre. En parallèle à cette 2e lettre, le Comité du 24 Avril demande le soutien du Catholicos Garéguine 1er, en visite à Paris qui doit rencontrer Jean Tibéri. Cette rencontre fait, de toute évidence, avancer le projet. Avant d'entreprendre les premières démarches, le Comité du 24 Avril voulait s'assurer d'un nouvel emplacement disponible pour ériger le monument. Un endroit libre et prestigieux fut confidentiellement proposé par les services d'urbanisme de la ville de Paris. Ce site magnifique se situait à quelques pas de la Tour Eiffel, à l'intérieur du Champs de Mars. Les 3 architectes (et membres fondateurs) du Comité J.V. Guréghian, M. Deirmendjian et J. Khachikian se mettent au travail et établissent un avant projet. Lors de la première rencontre, fin janvier 97, entre le président du Comité du 24 Avril J.V. Guréghian et Jean Tibéri, le maire confirme un rendez-vous sur le site pour le 19 février 97. Un exemplaire de l'avant projet est communiqué au maire. La première lettre-réponse du maire, adressée au Comité du 24 Avril, date du 21 février 97 (voir ci-joint). D'autres lettres suivent et Jean Tibéri contribue positivement à l'avancement du projet. Par la suite, la mairie de Paris suggère de trouver un autre emplacement, prétextant (peut-être à tort) que le permis serait refusé par la mairie du 7e arrondissement à cause… des riverains du Champs de Mars ! (alors que des contacts positifs sont déjà établis avec le maire du 7e). Néanmoins, les architectes du Comité se chargent de trouver un autre emplacement parmi les endroits disponibles. Le choix s'arrête définitivement sur la place du Canada. L'endroit est magnifique, il y a toutefois une contrainte en cet endroit : il faut obligatoirement ériger la statue d'une personnalité (au lieu d'un monument). Le choix du Comité du 24 Avril se fixe alors sur le génie du peuple arménien, Komitas qui pouvait symboliser, puisqu'il en fut lui-même victime, le génocide de 1915. Dans les deux ans qui suivent la première lettre adressée à Jean Tibéri par le Comité du 24 Avril, deux autres occasions permettent à Jean V. Guréghian de rencontrer le maire et de réactiver le projet. Par la suite, il y eu de longues démarches administratives et de nombreux rendez-vous furent organisés, mais les efforts conjugués de chacun, en liaison avec l'Église arménienne, permettent l'aboutissement du projet. Trois projets de différents sculpteurs sont présentés à la mairie de Paris. Celle-ci arrête son choix sur le projet du talentueux David Yérévantsi. Ce n'est que le 29 janvier 2001, alors que A. Govciyan avait succédé à J.V. Guréghian à la présidence du Comité du 24 Avril, que le maire Jean Tibéri annonce le vote positif du Conseil de Paris. Le 24 Avril 2003, c'est le nouveau maire de Paris Bertrand Delanoë, en présence d'une foule immense et de nombreuses personnalités, qui inaugure la statue de Komitas symbolisant le Génocide de 1915.
Le Comité du 24 Avril, un bref rappel
L'expérience, pendant quelques années, de la COPA (coordination de Organisations Politiques Arméniennes), qui regroupe les partis traditionnels arméniens, fut bénéfique, dès la création en octobre 94 du Comité du 24 Avril. Ce comité, conçu à la demande de Monseigneur K. Nacachian, avait pour mission d'organiser le 80ème anniversaire du génocide. Ce Comité fut fondé par 7 bénévoles (J.V. Guréghian, A. Bagdikian, M. Deirmendjian, J. Khatchikian, G. Sarian, D. Shirvanian, V. Der-Sarkissian) issus de différentes organisations. J.V. Guréghian fut élu président, G. Sarian secrétaire et J. Khachikian trésorier. Après la commémoration, qui fut grandiose, le comité ne s'est pas dissous. Déjà, il fallait " gérer " les frais engagés qui s'élevaient à près de 350.000 FF. Par la suite, le comité a volé de ses propres ailes. L'envie de continuer à travailler ensemble était très forte. D'autres organisations se rallièrent également à ce Comité décidemment très dynamique. L'élaboration des statuts ne fut pas chose facile. Le parti dachnak, l'UGAB, les Églises apostoliques et catholiques et l'AAAS refusaient d'entrer officiellement dans une structure commune. Alors qu'il avait été prévu un mois pour rédiger les statuts, il fallut quatre mois de réunions avec Maître Yérétsian pour les rédiger et contenter tout le monde. L'enregistrement officiel, à la Préfecture de Paris, en tant que ONG, s'est fait le 31 janvier 1998. Parmi les objets des statuts il y avait la reconnaissance du Génocide de 1915. Ce qui amena à la première, émouvante et incroyable victoire du 29 mai 1998, lorsque l'Assemblée Nationale de la République française vota à l'unanimité la reconnaissance du Génocide arménien. D'autres victoires suivirent. Le Comité du 24 Avril se transforma, par la suite, en Conseil de Coordination des Organisations Arménienne de France (CCAF) le 21/10/2001. Les présidents : d'octobre 1994 à octobre 1998 - Jean Varoujean Guréghian, d'octobre 1998 à octobre 2002 - Alexis Govciyan, d'octobre 2002 à ce jour - Ara Krikorian. Il existe aussi une Commission d'Arbitrage composée de membres permanents qui sont les membres fondateurs du Comité du 24 Avril avec J. V. Guréghian comme président. Croquis de J.V. Guréghian pour une variante du socle.
Le choix de Komitas
Le Comité du 24 Avril avait décidé, pour le 82e anniversaire du Génocide, d'honorer la mémoire de Komitas. Discours de J.V. Guréghian dans le parc de l'hôpital de Villejuif, le 24 avril 1997 : L'un des plus grands génies du peuple arménien, Soghomon Soghomonian, est né le 26 septembre 1869 à Kutahia en Asie mineure. C'est lors de son ordination qu'il prendra le nom de Komitas. Orphelin dès l'âge de 12 ans mais remarqué par la qualité de sa voix et de ses dons musicaux, il est envoyé au Séminaire du Saint- Siège d'Etchmiatzine où il poursuit ses études religieuses et musicales. Il deviendra membre de la congrégation. Ses aptitudes exceptionnelles lui valent d'être envoyé à Berlin pour y parfaire sa culture musicale auprès de R. Schmidt, éminent compositeur et pédagogue. De retour à Etchmiatzine, le Révérend Père Komitas entreprend un travail immense : recueillir, harmoniser, dépouiller les chants populaires et religieux en parcourant les vastes provinces de l'Arménie, tout en poursuivant son oeuvre de composition. Sans lui, bon nombre de trésors musicaux, demeurés jusqu'alors traditions orales, seraient aujourd'hui irrémédiablement perdus, d'autant que, dans les années qui suivirent, une majeure partie de l'Arménie fut rayée de la carte du monde avec sa population, lors du génocide de 1915. Komitas a remis en valeur le style de la musique arménienne, tant populaire que liturgique. Il a, entre autres, recomposé la liturgie qui est pratiquée de nos jours par l'Église arménienne. Il fit deux séjours à Paris : - En 1906, où il organisa le 1er festival de musique arménienne qui rencontra un réel succès. Il révéla une esthétique nationale jusqu'alors méconnue. À cette occasion, il fit interpréter des chants arméniens, en… arménien ! Par les Choeurs des Concerts Lamoureux. - En 1914, il participa au Congrès de la Société Internationale de Musique où il fut l'un des conférenciers. Sa brillante et florissante carrière fut brusquement et définitivement interrompue le 24 avril 1915. Cette date marque le début du génocide du peuple arménien, perpétré par le gouvernement ottoman, qui fit 1 500 000 victimes. Ce jour du 24 avril 1915, à Constantinople, Komitas fut, avec 800 intellectuels arméniens (les arrestations seront beaucoup plus importantes dans les jours suivants), arrêté, emprisonné puis déporté vers la mort. Cependant, grâce à l'intervention personnelle de l'ambassadeur des Etats-Unis, il revint sauf de l'enfer. Mais c'était trop tard pour sa carrière musicale car, avec la sensibilité qui était la sienne, il avait définitivement perdu la raison après avoir vu toutes ces horreurs autour de lui. En 1919, ses amis de Paris et de Constantinople réussirent à le faire venir à Paris. Il fut aussitôt soigné à l'hôpital de Villejuif, où il resta, jusqu'à sa mort survenue en 1935. Le Révérend Père Komitas ne retrouvera jamais la raison. Le 24 avril 1915 avait marqué l'arrêt complet de sa création musicale. De surcroît, dans ses premières années de folie, une partie de ses oeuvres, notamment ses travaux en musicologie sur le déchiffrage de l'écriture musicale arménienne du moyen âge, a disparu à jamais. Malgré cela, l'héritage culturel du Révérend Père Komitas est inestimable. Il a laissé derrière lui un patrimoine remarquable qui est source intarissable pour la musique arménienne mais aussi richesse universelle de l'art musical. Il s'est intéressé de très près aux musiques, et en général aux cultures, des peuples turc et kurde. Debussy avait pour lui une très grande estime. Komitas est considéré comme le fondateur de la musique classique arménienne ainsi que le précurseur d'une nouvelle école de composition.
L'artiste David Yérévantsi
David Yérévantsi est né en 1940 en Arménie. Dès son jeune âge, il est formé dans un atelier de joaillerie et de gravure sur métal à Erevan (1956 - 1959). Par la suite, il entre à l'Ecole Terlémézian des Arts Décoratifs D. Yerevantsi, à droite, dans l’atelier de Mulhouse. à Erevan (1963 - 1968) afin de compléter ses connaissances dans le domaine de l'art plastique. Ses formations pluridisciplinaires l'ont amené à créer des oeuvres variées dans la technique et le matériau. Sa bonne maîtrise de domaines spécifique lui donne une richesse d'expression et de création artistique. Ses premières expositions datent de 1965. Ses oeuvres figurent dans les musées d'Arménie, de Bulgarie, de Russie, de Tchéquie et de France (Musée de l'Hôtel de la Monnaie, Musée des Arts décoratifs de Paris). David Yérévantsi a réalisé des objets d'arts dont la taille va de la simple médaille en métal aux sculptures monumentales en pierre. Utilisant tour à tour la céramique, la peinture et l'estampe, il réalise une expression artistique originale permettant une synthèse très personnelle entre les veilles traditions de l'art et de l'artisanat arméniens et la modernité occidentale. Parmi ses réalisations en France : - L'oeuvre de la Fondation Frenghian au château Boursault - Le bas-relief de la façade de l'immeuble, rue Rouget de l'Isle - La porte sculptée de L'église arménienne d'Issy-les-Moulineaux - L'oeuvre d'Amitié Franco-Arménienne à Issy-les-Moulineaux - La sculpture commandée par la ville des Lilas (Seine-Saint- Denis)
La statue
Sur un socle de 2,00m de hauteur, réalisé en pierre blanche de Saint Maximin, la statue du Révérend Père Komitas fait 4,00m de hauteur. Elle est réalisée en bronze avec une patine de finition Vert antique. Komitas fut un génie dans son art de la musique. Victime lui-même, il incarne l'âme et la culture d'un peuple martyr et symbolise, pour chaque Arménien le Génocide de 1915. La statue incorpore aussi une image d'enfant sortant du corps de Komitas, c'est le symbole de la résurrection du peuple arménien génocidé. Quand au khatchkar (pierre-croix), il représente la mémoire collective et symbolise l'identité arménienne.
Le financement
L'argent " nerf de la guerre ", cette expression ne saurait être plus juste. Le but était tout proche. Ne restait plus qu'à concrétiser l'érection de la statue de Komitas qui devait redonner la fierté aux Arméniens de France ; la fierté de voir, au pays des droits de l'homme, se dresser dans toute sa splendeur, ce monument qui servirait de lieu de mémoire et de recueillement. Devant les difficultés de réunir les fonds nécessaire, il s'est créée, autour d'un Arménien, discret s'il en est, une association, les Amis du RP KOMITAS dont il fut nommé tout naturellement le Président. Cette association reçue l'investiture du CCAF, afin de mener à son achèvement, ce projet vieux maintenant de 25 ans. L'idée était de ne plus perdre de temps pour être au rendez-vous du 24 avril 2003. Une souscription serait mené auprès de toute la Communauté afin que chaque Arménien s'approprie personnellement ce monument en souvenir de ses propres ascendants morts sur le chemin du néant. En attendant il fallait bien lancer les commandes auprès des différents hommes de l'art, depuis le sculpteur jusqu'au fondeur de la statue. Le Président de l'Association des Amis du RP Komitas contractait un emprunt bancaire qu'il garantissait personnellement, les dons des Arméniens devant couvrir à plus ou long terme ce crédit bancaire. Grâce à lui, le cap du 24 Avril 2003 fut maintenu.
Mise à jour : 2011