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Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)

Diasporas - Pologne

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Dès le XII° siècle
A en croire certains historiens, les premiers immigrés seraient arrivés en Galicie, à la frontière des duchés de Pologne, dès le XII° siècle. A cette époque, la région n'est pas sûre. Elle fait l'objet de fréquentes incursions mongoles et la petite colonie arménienne se trouve sans cesse menacée par les pillages des cavaliers. Les Polonais prennent les armes, organisent des expéditions militaires pour contenir l'invasion, mais les combats sont incertains. En l'an 1241, 40 000 soldats arméniens décident alors de voler au secours de leurs compatriotes menacés. Ils partent de Crimée, rejoignent la ville de Kamienec et repoussent l'envahisseur. Ils signent là un fait d'armes qui leur vaudra l'estime de leurs alliés polonais. Cette bataille marque en effet le début d'une longue cohabitation pacifique entre les deux peuples, qui durera près de huit cents ans.

A partir de 1250, artisans, boutiquiers, maçons, soldats... des milliers d'immigrés s'installent à Lvov, aujourd'hui capitale administrative d'Ukraine. Souvent pauvres, ils ont emporté bien peu de choses dans leurs bagages. Un petit sac de terre, soigneusement attaché à leur cou, leur rappelle un pays qu'ils ne reverront plus jamais. Peu à peu, les nouveaux arrivants occupent les villages alentours, Vladimir, Lutsk ou Tchichnov, et bâtissent de nouvelles communautés. Ils possèdent déjà leur propre église à Lvov depuis plus d'un siècle, mais l'Eglise apostolique d'Arménie juge qu'il est nécessaire d'établir un autre diocèse. Elle envoie, en 1346, l'archevêque Krikor en Pologne. Les immigrés affluent. A la fin du Moyen Âge, leur nombre s'élève, dit-on, à 200 000 !
Les Arméniens font preuve d'une fidélité exemplaire, si bien que les rois et les ducs polonais leur concèdent des privilèges spéciaux. En 1350, ils bénéficient d'un statut autonome et possèdent leur propre cours de justice, composée de douze personnalités, choisies parmi les membres de la communauté. Ils sont aussi exemptés d'impôts et peuvent engager dans tout le pays des transactions commerciales.

Lvov devient une cité florissante au XVe siècle. Pendant trois cents ans, les hommes d'affaires arméniens détiendront, à eux seuls, tous les rouages de la finance. L'industrie de l'or et de l'argent y est prospère. Les commerçants vendent des produits européens et importent des épices ou des tapis persans. Lvov sert de plaque tournante entre l'Est et l'Ouest. Vers le XVIIIe siècle, tous les commerces de la ville appartiennent à des marchands Arméniens. Bien souvent, ces derniers possèdent aussi des bureaux à Constantinople, Smyrne, Moscou ou Amsterdam. Certains nagent dans l'opulence. Ils sont parfois si riches que les rois polonais n'hésitent pas à puiser dans leurs cassettes personnelles pour remplir celles du royaume. Une anecdote circule au sujet d'Avédik Bernatowicz. Un jour, le roi Wladyslaw II (1632-1648) demande à ce marchand arménien de lui prêter 100 000 ducats. Tatillon, le commerçant exige plus de précisions : "Vous préférez que cette somme vous soit remise en pièces d'or, d'argent ou de cuivre?", s'enquiert-il. "Dans les trois matières!" , lui répond alors le souverain. Le généreux marchand ne s'embarrasse pas de calculs superflus; il remet au roi trois fois 100 000 ducats : en or, en argent et en cuivre... Quand on aime, on ne compte pas.

On pourrait certes multiplier les anecdotes de ce genre. Citer de nombreux exemples d'allégeance de la communauté à l'autorité royale. Ce que l'on perçoit très bien, c'est la formidable ascension de l'élite arménienne. Il n'est pas rare, en effet, de la retrouver à des postes clés dans le gouvernement polonais. Au XV` siècle, celui-ci envoie un Arménien du nom de Hagop en mission diplomatique au Tatarstan, en Perse et en Arabie. Un autre, Christian Seropowicz, est nommé plus tard ambassadeur. Des Arméniens obtiennent aussi des titres royaux et deviennent ducs ou princes. Pendant la guerre qui oppose la Pologne aux Turcs, en 1621, puis en 1672, ils combattent, toujours aux côtés de leurs "frères". Les deux nations marchent main dans la main. En 1696, la Pologne propose même aux Arméniens, placés sous la coupe ottomane, de leur envoyer 35 000 soldats pour les aider à gagner leur indépendance. Frères d'armes devant l'ennemi commun, sujets modèles dans leur pays d'accueil, il leur faut pourtant résister à l'influence polonaise. Un combat souvent perdu d'avance. Les Arméniens perdent leurs "privilèges spéciaux" dès 1476. Leurs noms se transforment. "Torossian", par exemple, devient "Torowicz". La traditionnelle terminaison en "ian" est remplacée par le "wicz" polonais. Même l'Eglise apostolique arménienne n'est pas épargnée par cette acculturation rampante à partir du XVIIe siècle. A peine nommé archevêque, en 1627, le diacre Nicholas Torosewicz se convertit d'ailleurs au catholicisme. La communauté arménienne est alors choquée par ce personnage qui renonce à tout lien avec Saint-Etchmiadzine au profit du Vatican. Elle tente de chasser "l'imposteur". En vain. Les réticences viennent de ses propres membres, car les plus zélés défenseurs de Torosewicz ne font pas partie de la société catholique polonaise. Ce sont des Arméniens, de riches marchands dont les intérêts financiers sont étroitement liés au pouvoir... Cette fois, la bataille est bel et bien perdue. Des milliers d'Arméniens quittent précipitamment la Pologne pour la Bulgarie, la Roumanie et la Moldavie, afin de préserver leur identité.

L'assimilation
Car le Vatican redouble ses efforts pour convertir les récalcitrants. Deux moines catholiques, dépêchés par Rome, établissent à Lvov plusieurs écoles religieuses. La nouvelle foi se propage très vite dans la communauté. Au XIX` siècle, la langue arménienne ne figure déjà plus dans les documents officiels. Le grabar, sa forme classique, n'est utilisé que pour la liturgie. En 1820, une centaine de familles arméniennes, seulement, vit encore à Lvov. Les Arméniens de Pologne n'ont pas su contenir le processus d'assimilation. Bientôt, les dernières écoles arméniennes fermeront leurs portes. C'est la fin d'une époque. Les Arméniens de Pologne, la plus vieille communauté d'Europe, deviendront souvent plus polonais que les Polonais eux-mêmes...

David Zenian, UGAB Magazine, numéro 1, Mars 1999

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