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Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)

Diasporas - Russie

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Les Arméniens à Moscou
par Jacques Kayaloff, pour l'ACAM

Suivant la légende, les premiers Arméniens qui ont quitté leur pays natal et pour s'expatrier furent les habitants d'Ani lorsque leur jolie et riche capitale fut conquise et démolie par les Seljoukides en 1064. Les Arméniens se sont dirigés vers la Pologne et la Galicie où le grand duc Féodor Dimitrievitch les a exemptés de tout impôt durant trois années. Quelques historiens sont d'avis que cette charte a été promulguée bien plus tard, mais le début de la diaspora n'a qu'une importance relative car les marchands arméniens participaient à la Foire de Lublin (en Pologne) depuis des siècles.

Vers la Fin du XVIIe siècle, Moscou comptait parmi sa population plus de deux mille personnes d'origine arménienne. Dans ses écrits le célèbre baron Sigismond Herberstein s'étonne que les Arméniens mangent des oeufs et du fromage pendant le Grand Carême.

En 1660, un groupe de marchands Arméniens venant de Perse et ayant à leur tête Zakarii Bagradov-Charimanian offrit au Tsar Alexei Mikhailovitch un trône décoré avec des pierres précieuses. Les touristes contemporains peuvent le voir en visitant le Palais d'Armures au Kremlin.

Jadis, les Arméniens habitaient autour de l'église "Nikolav Stolpakh ", mais en 1652, Alexei Mikhailovitch construisit pour les étrangers, et surtout pour les Allemands, une " Sloboda Nemetskaia " et tout le monde dut déménager. C'est seulement pendant le règne de Pierre le Grand que les Allemands purent s'installer dans la région de l'église Nikolav Stolpakh . Pendant la nuit, la rue était fermée par une grille portant le nom de " Kosmademianovkaia rechotka ".

L'historien M. N. Tikhomiroff, connu pour ses recherches sur les moscovites du XIVe et du XVe siècles, croit qu'une colonie arménienne existait déjà à Moscou vers la fin du XIVe siècle. Mais c'est l'arrivée en 1747 d'un marchand riche L.N. Lazarev qui a créé un mouvement à Moscou. Lazare Nazarovitch était né à la Nouvelle Djulfa en 1700, c'est-à-dire bien après que le shah Abbas (1587-1629) eut forcé les habitants de la zone située entre la Turquie et la Perse à quitter leur pays, et à se réfugier dans les environs d'Ispahan qui devint la capitale du royaume en 1598. Le shah Abbas avait envoyé deux représentants à Venise pour augmenter ses exportations, mais ayant eu de mauvais résultats, il donna le monopole du commerce de la soie aux Arméniens d'Ispahan. Ces derniers en mémoire de leur ancienne patrie appelèrent leur nouveau lieu de résidence "Nouvelle Djulfa". Un pont solide reliait cette ville avec Ispahan. Le Shah venait une fois par an pour les fêtes, et alors toutes les jeunes filles se cachaient, car elles avaient peur d'être enlevées pour le harem du Shah.

Au XVIIIe siècle, pendant le règne du Nadir Shah (1736 1747) les impôts devinrent intolérables et le chef-prince Lazare (Ichkhanapet Aghazar) s'exila en Russie. Il était entouré de ses quatre fils et de leurs nombreux serviteurs. Lazare s'installa dans une maison près de l'église Nikolav Stolpakh et acheta plusieurs propriétés dans le voisinage. Il construisit une usine à 60 kilomètres de Moscou pour les textiles et acheta celle du Chariman. Il devint le fournisseur de la Cour Impériale et la Grande Catherine lui octroya un titre de noblesse héréditaire, ce qui lui donna le droit d'avoir des cerfs (" krepostnykh "). En 1770,il loua les usines des Strogonoff aux Monts Oural et ainsi sa famille devint le plus gros industriel de Russie.

Son fils aîné Ivan (Ovannès) fut le seul qui habita St Petersbourg car il était joaillier de la Cour et son nom est lié au fameux diamant de 175 carats que le favori de l'Impératrice Grigorii G. Orlov fit cadeau à la Grande Catherine. Depuis 1774,il coiffe le sceptre impérial, qu'on montre aux touristes dans le Palais des Armures, au Kremlin.

En 1784, l'empereur d'Autriche Joseph donna le titre de Baron à Ivan pour le faire Comte deux ans plus tard, Ivan avait un fils unique qui décéda en 1801, son père le suivit la même année. Le portrait du fils peut être vu sur le monument mortuaire qui est maintenant dans le musée municipal de Leningrad (ancien monastère). Il a été fait par I.P. Martos (1752-1835) en 1802. Ce fut Ivan qui obtint la permission de construire une église arménienne dans la cour en face d'une maison où habitait son père. Dès que les travaux commencèrent, la petite ruelle qui était connue dans le passé comme Nicolskii ou Stolpakh Lane devint " Armianskii pereoulok " (la ruelle des Arméniens). Ivan confia le projet d'une église à un architecte très connu en Russie I.M. Felten (1703-1802).

La construction fut terminée en 1779. C'était la deuxième église de culte grégorien à Moscou, car la première avait été élevée par le roi géorgien Vakhtang, venu à Moscou en 1731, accompagné de nombreux Arméniens. Ce roi géorgien donna le terrain nécessaire pour bâtir une église de l'Assomption de la Sainte Vierge. La troisième église arménienne fut bâtie par les deux frères cadets Lazarev au cimetière Vagankovskoe en 1815, où furent transférées les tombes de tous les Arméniens qui étaient enterrés ailleurs. Ce cimetière devint un panthéon, car en plus des Lazarev, il y avait les tombes de S. Nalbandian, Nikita Emin, Sumbat Chah-Azis, etc... En plus, il y avait les tombes des Arméniens qui moururent durant la guerre Napoléonienne de 1812- 1815 et la Grande Guerre Nationale de 1941 - 1945.

L'édifice de l'église dans l'Armianskii pereoulok survécut à l'incendie lorsque les troupes françaises entrèrent à Moscou pour la quitter quelques semaines après, en Octobre 1812. L'église fut rasée entre les deux guerres mondiales pour faire place à une école. Ivan donna le gros de sa fortune pour le maintien d'une école pour des enfants pauvres ou orphelins d'origine arménienne. Son frère Minas construisit pour lui-même, une superbe maison dans le style Empire, qu'il a léguée à l'institut de Lazarev. Le peintre I.B. Toutoukin fit un tableau qui se trouve maintenant dans le musée d'État de peinture à Érévan.

Le troisième fils de Lazare, Christophor (= Khatchadour) épousa la fille du célèbre Manouk Bey MirzoÎan. Leur fille Anna devint la Femme du Ministre de l'Éducation Publique A.D. Delianov (= Delanian)

Ce fut le fils cadet de Lazare qui devint le premier conservateur de l'Institut Lazarev. Oakim (= Akim) fit pas mal d'efforts pour arriver au succès. En 1818, il démissionna quand il se sentit devenir trop vieux pour la besogne. Son fils Ivan le remplaça.

En 1873, voyant que le clan des Lazarev n'avait pas d'issue mâle, le tsar Alexandre II donna le droit aux descendants du Kniaz David Abamelik, dont le fils était marié avec une fille de Christophor Lazarev, de s'appeler Abamelik-Lazarev. L'héritier du trône géorgien épousa la sœur des six frères Abamelik, dont les deux aînés firent une brillante carrière militaire. Quant aux quatre suivants, ils firent leur chemin dans la carrière civile, en Russie.

Parmi les Abamelik-Lazamev, Semen Semenovitch était connu dans les cercles littéraires et scientifiques de St Petersbourg. Il voulait se consacrer à la carrière scientifique après avoir terminé ses études à l'Université de St Petersbourg. En faisant un voyage d'études au Proche Orient, avec le Professeur Adrian V. Prakhov et un ami, le peintre Vasilii D. Polenov il découvrit une pierre avec une inscription en grec et en araméen : le tarif douanier de Palmyre, en 137 avant J.C... Bien que cette découverte eut été faite en 1882, cette dalle énorme fut installée vingt ans plus tard, dans l'Ermitage.

Comme la photographie n'existait pas encore, nous pouvons nous faire une idée sur les Lazarev, uniquement par les portraits faits pendant leur vie. Dans le Musée d'État de peinture d'Erévan, il y a plusieurs tableaux faits par le peintre russe I. Argunoff qui était un cerf de Cheremetieff. Il nous a laissé un bon portrait du père Lazare et de sa femme Anna ainsi qu'un portrait de son fils Minas et de sa femme (née Khastasova). Dans le même musée, se trouvent deux esquisses faites par V.A. Tropinin pour les portraits d'Oakim et de son fils Artemii qui fut tué en 1813 pendant la bataille de Leipzig, et trois portraits d'Ivan, d'Oakim et son fils. (Dans la galerie TretiakovskaÏa à Moscou, il y a un tableau peint par Tropinin en 1839 d'une femme avec un chapeau blanc, qui est considéré comme un portrait d'une des Lazarev). Les deux bustes des Lazarev faits par I.P. Martos sont aussi dans le même musée à Erevan.

En plus, il y a dans le musée russe de Leningrad un buste d'enfant fait par un sculpteur italien Louidji Pampaloni (1791-1847). C'est celui de fils unique de Christophor, mort tout jeune. En 1822, les Lazarev ont élevé un monument en l'honneur des créateurs de l'institut ainsi que de son corps enseignant. Il était dans le jardin, mais avant les fêtes du centenaire, le monument fut transféré dans la cour faisant face à l'édifice où il se trouve maintenant.

Quand St Petersbourg fut nommé officiellement la capitale (en 1712) du pays, Israël Ori ainsi que Surbazan Minas demandèrent la permission de construire une église arménienne sur le Nevskii Prospekt. Finalement, elle fut élevée par le même architecte que celle de Moscou I.M. Felten de 1771 à 1780, avec les donations des Lazarev. Au XVIIIe siècle, la colonie arménienne de St Petersbourg comprenait seulement 150 personnes. L'église a été repeinte récemment, elle sert d'entrepôt au Ministère de l'Instruction Publique. Au XXe siècle, les Arméniens de Moscou étaient devenus une fraction importante de la vie de la ville. Kolia Tarasoff a sauvé le Théâtre Artistique de Moscou d'un embarras financier. Nikicha Balieff a créé son cabaret la "Chauve Souris". Martiros Sarian a fait impression avec ses couleurs peu usuelles dans ses paysages d'Egypte. Josia Mantacheff lui commanda son portrait qui est maintenant à la TretiakovskaÏa. Entre-temps, les chevaux de Josia gagnaient tous les prix.

Et dans le café du Tremblay, il y avait toujours un client très apprécié: c'était l'avocat Mamikonian qui devint en 1918, le délégué du Conseil National Dour la défense de Kars.

La communauté de Russie en 2001
par Ara Abramian, président de l'Union des Arméniens de Russie, propos recueillis et traduits par Albert Andonian

Après le démembrement de l'Union soviétique, l'Arménie a connu un sort tragique. Au lieu d'entrer de plain pied dans le XXIe siècle et le cercle des États hautement développés, la république s'est trouvée dans une situation critique. Le gros de la population survit diffcilement, les indices économiques sont plus navrants et, malheureusement, nous assistons à l'exode catastrophique de la population qui, dans les conditions du blocus, du chômage et de l'absence quasi totale de revenus, est contrainte de s'expatrier.

De très nombreux Arméniens ont pris le chemin de la Russie. Au début, ils trouvaient difficilement un emploi et se heurtaient à de nombreux problèmes socio-économiques et politiques. Alors j'ai fait jouer tous les moyens à ma disposition pour attirer l'attention des autorités russes sur les problèmes des Arméniens abandonnés à leur sort.

C'est qu'à la différence de la Diaspora des pays où les Arméniens se sont organisés depuis des décennies et parfois des siècles, le système idéologique et politique de l'Union soviétique empêchait les communautés nationales de se grouper pour conserver leur identité nationale et défendre leurs intérêts. Dans les conditions actuelles, débarrassée des chaînes de l'idéologie marxiste, la société s'efforce d'accorder aussi bien aux groupes socio-professionnels qu'ethno-religieux la possibilité d'affirmer leur identité et les groupes ethniques en Russie peuvent mieux s'organiser pour surmonter les nombreux obstacles dressés par les transformations économiques et la mise en place des institutions démocratiques du pouvoir.

Au début des années 90, il y a eu, en Russie, quelques tentatives d'organiser la communauté arménienne à l'échelle du pays pour conférer une plus grande efficacité à son activité culturelle et civilisatrice, pour améliorer la situation socio-économique de nos compatriotes, assurer la protection politico-juridique des Arméniens. Mais de nombreux facteurs: faiblesse du business arménien, des Organisations arméniennes, l'immensité du territoire russe, l'absence de réseaux d'informations et de liens efficaces entre les communautés, le choc des ambitions de divers leaders des communautés arméniennes ont conditionné l'absence de sérieux résultats à la suite de quoi les communautés arméniennes ont vécu isolées les unes des autres dans diverses régions du pays. Bien que dans quelques unes d'entre elles les Arméniens aient continué de jouer un rôle important dans la vie économique et culturelle, elles manquaient néanmoins de coordination, n'avaient pas d'objectifs précis et ne pouvaient, comme d'ailleurs les représentants d'autres nationalités, participer aux processus socio-économiques et politiques du pays en tant que force organisée.

Dans les nouvelles conditions où la communauté arménienne s'est considérablement accrue, surtout dans le sud de la Russie, dans les centres politiques et culturels : Moscou, Saint-Pétersbourg, Nijni-Novgorod et de nombreuses autres grandes villes où le business arménien réussit le mieux, où les communautés arméniennes voient leurs rangs grossir dans le domaine des finances et celui de l'information, on peut dire qu'existe la base sur laquelle il faut achever de construire l'édifice des communautés arméniennes à l'échelle de toute la Russie.

" L'union des Arméniens de Russie " ( U.A.R. ) est officiellement enregistrée conformément à la législation russe. À ce jour elle compte 67 organisations régionales. Nous déployons notre activité dans trois orientations :

Nous estimons que le travail ne fait que commencer. Comme succès dans ce domaine, je citerai la ratification par la Douma de l'Accord russo-arménien portant sur l'octroi de droits économiques et sociaux égaux pour les citoyens d'une république vivant en permanence sur le territoire de l'autre république, la participation active à la campagne électorale pour l'élection du maire de Sotchi. Grâce à l'activité politique de l'U.A.R., on a utilisé au mieux le potentiel électoral des Arméniens qui constituaient 35% des électeurs. Il en a résulté que 73% des voix données à la partie gagnante étaient des voix d'Arméniens.

Il est évident qu'en déployant l'activité des électeurs nous pourrions remporter de nouveaux succès dans d'autres régions de la Russie.

L'union des Arméniens de la Diaspora à l'échelle mondiale dans le cadre de leur appartenance étatique n'est pas une utopie.

Les Arméniens sont les plus intégrés dans la vie socioculturelle du pays où ils vivent. En règle générale, ce sont les citoyens les plus loyaux du pays qui est devenu leur deuxième patrie. Quel que soit le pays où ils résident, ils apportent beaucoup au développement des sciences, de l'économie, de la culture et des arts.

Cela ne les empêche pas de rester Arméniens avec leurs intérêts nullement contraires à ceux de ces États. Mieux, les Arméniens contribuent efficacement à renforcer non seulement les liens culturels, mais encore les liens politiques des États dans lesquels ils vivent. Je suis persuadé que la Diaspora arménienne constitue un sérieux facteur de paix et de progrès. De par leur situation, les Arméniens sont appelés à jouer un rôle important dans le processus de globalisation.

L'assistance active au développement de l'entreprise arménienne en Russie est une nouvelle orientation dans la vie de la communauté arménienne de Russie, en tant que base de la prospérité de la Diaspora et du renforcement des liens économiques entre la Russie et l'Arménie.

Nous poursuivons un objectif ambitieux : la renaissance de la patrie. Il n'est pas question d'idées abstraites, mais de régions concrètes. Par exemple, nous " parrainons " le district d'Eghégnadzor, nous étudions la possibilité de faire de Djermouk une station thermale d'importance mondiale, nous créons toutes sortes d'entreprises : usines vinicoles en mesure de fournir 2 millions de bouteilles par an, entreprises spécialisées dans la taille de pierres précieuses et dans la fabrication de bijoux. Nous étudions les possibilités du Complexe militaro-industriel (CMI) pour rétablir sa coopération avec le CMI de Russie afin qu'il puisse de nouveau fonctionner grâce aux capitaux et au marché d'écoulement russe. La réalisation de ces projets et d'autres encore permettra de créer de nouveaux emplois, d'arrêter l'exode de la main d'œuvre arménienne .

L'U.A.R. prête une attention particulière à la création de conditions économiques favorisant le retour en Arménie des Arméniens qui, à cause du blocus organisé par l'Azerbaïdjan et la Turquie ont été contraints de s'expatrier. A cette fin, on a créé dans le cadre de l'U.A.R. la fondation " Retour " qui œuvre déjà.

En tant que président de l'U.A.R., je prête une attention particulière à la mise au point de notre " idéologie " qui doit être la base de notre activité. Je pars du fait qu'en cette période complexe et capitale, le peuple arménien ne pourra relever les sérieux défis de notre époque que s'il assure son unité nationale. De surcroît, nous partons du fait que les intérêts de toute la nation arménienne doivent prévaloir sur les aspirations politiques et personnelles. Cette unité doit reposer sur les valeurs créées au cours des siècles, sur les valeurs acceptées par tous, indépendamment des convictions politiques. Je pense aussi à la création d'une organisation arménienne mondiale, un genre d'Union planétaire des arméniens et au rôle que l'U.A.R. pourra jouer en ce sens. Nous partons du fait que la création de l'U.A.R. et des organisations analogues dans d'autres pays n'est que la première étape qui devra être suivie d'une deuxième.

Par la coordination, par l'établissement de liens entre les organisations arméniennes de divers pays, nous devons aboutir à la création d'une Organisation mondiale des Arméniens. Afin d'éviter les erreurs du passé, il ne faut en aucun cas forcer artificiellement ce processus, sans oublier toutefois que la vie pose au peuple arménien de nombreux problèmes majeurs dont la solution ne peut attendre. Il faut donc " se hâter lentement ".

Quant aux possibilités de notre participation à ce processus, il vaut mieux en juger d'après notre travail.

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