Retour aux Diasporas    Sommaire Contacts
Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)

Diasporas - Suède

ligne

Chapelle
Chapelle dans les faubourgs de Stockholm
Erigée au XIXe s. par Ohan Demirjan

Tombe Alma Johansson
Cimetière de Stockholm
Tombe d'Alma Johansson

Articles parus dans UGAB Magazine numéro 5 - 2e trimestre 2000

Qu'allaient-ils faire chez les Vikings ?
Elégance dans la démarche, longs yeux noirs et caressants, les femmes arméniennes avaient tout pour plaire aux marins vikings. Selon une légende du Xe siècle, Petrus, un capitaine de navire suédois, est envoûté par la beauté d'une princesse arménienne, au point de monter une expédition jusqu'en Arménie pour l'épouser. Un détail piquant : en vieux suédois, le mot erik veut dire la même chose qu'en arménien : "mari". De là à imaginer que les relations arméno-suédoises ont commencé par une histoire d'amour... il n'y aurait qu'un pas ! Dès le haut Moyen Age, les apports arméniens à la culture suédoise ne sont-ils pas typiquement féminins ? L'art de la dentelle et la musique, par exemple. Autant de raffinements orientaux vite adoptés par les rudes guerriers du Nord!
Car il existe d'étranges similitudes entre les anciennes croix de pierre arméniennes, les khatchkars, et les anciennes pierres tombales suédoises. Tout comme les bijoux retrouvés dans les tombes des anciens Vikings... Ils ressemblent curieusement à certaines parures découvertes dans des sites archéologiques arméniens. En fait, il faut attendre le XVIIIe siècle pour trouver des documents écrits. Vers 1750, l'ambassade de Suède à Constantinople emploie de nombreux Arméniens. Parmi eux, Hagop Tchamichoglu (Tchamichian), attaché à l'ambassade de Suède, qui a fait ses études à Paris, et Hovhannes Mouradgian, qui occupe le poste clé d'interprète. Ce dernier a l'esprit vif et observateur. Il consigne tous les événements vécus au cours de ses fonctions dans un journal rédigé en français. La famille Mouradgian va tisser dés cette époque des liens étroits avec la Suède. Le fils d'Hovhannes, Ignatius, ira d'ailleurs jusqu'à changer son nom en Mouradgea d'Ohsson, sans doute pour mieux s'intégrer dans la société suédoise. Lui et son fils Abraham, tous deux catholiques arméniens, feront toute leur carrière dans la voie diplomatique.

Diplomates de père en fils
Ignatius Mouradgea d'Ohsson entre à l'ambassade de Suède à Constantinople en 1763. Il est nommé chargé d'affaires en 1795, avant de prendre la direction de la mission diplomatique, poste qu'il occupe jusqu'en 1799. Tout comme son père, il a la passion de l'écriture. Il produit ainsi un grand nombre d'écrits sur l'histoire, les religions et les coutumes de l'Empire ottoman. Son principal ouvrage, qu'il met vingt ans à rédiger, comprend deux épais volumes publiés en français, la langue diplomatique de l'époque, avant d'être traduits en allemand, en anglais et en russe. Il trouve même le temps de terminer un troisième volume avant sa mort. Celui-ci sera publié par son fils Abraham, qui marche déjà sur ses traces. Né en 1779, Abraham Constantin d'Ohsson est élevé en France, mais il termine ses études de littérature à l'Université d'Uppsala, en Suède, avant d'intégrer le corps diplomatique suédois.
De 1805 à 1834, il est nommé successivement en Espagne, en Hollande et en Allemagne. Il exercera même les fonctions de secrétaire de cabinet du prince héritier. Fidèle à la tradition familiale, il s'intéresse lui aussi à l'Histoire, et plus particulièrement à la civilisation Mongole. Son Histoire des Mongols, reconstituée sur la base de sources arabes, perses et turques, et comprenant plusieurs chapitres sur l'administration mongole en Arménie, reste encore aujourd'hui un document précieux pour les historiens. Parallèlement à cette double carrière de diplomate et d'écrivain, Abraham collabore de façon très étroite avec le célèbre scientifique John Berzélius. Il est reçu membre honoraire de L'Union scientifique d'Uppsala pour ses recherches de chimie, avant de mourir à Berlin en 1851.
Les Mouradgea d'Ohsson, décorés et anoblis par la famille royale en reconnaissance de leurs bons et loyaux services, ne constituent pas la seule famille arménienne liée à la vie diplomatique suédoise. Jean Anatasi, un marchand arménien originaire de Damas, est nommé consul général de Suède en Egypte de 1828 à 1857. Paul Serphino (Sarafian) occupe, lui, un poste équivalent à l'ambassade suédoise de Constantinople.
Ohan Demirjian, le fils de Stepan Bey Demirjian, ancien ministre des Affaires étrangères d'Egypte de 1844 à1853, et présent à l'inauguration du canal de Suez, noue des relations étroites avec la famille royale de Suède, où il s'installe et acquiert la nationalité suédoise en 1867.
Il est très connu des milieux académiques suédois en tant qu'auteur de deux livres de référence sur les relations commerciales entres les pays européens et l'Orient. Il fait construire une petite chapelle, de conception typiquement arménienne dans les faubourgs de Stockholm. Le bâtiment existe toujours, et une association de jeunes Arméniens s'est créée pour restaurer la chapelle dans son état d'origine et en refaire un lieu de culte.

Des Suédois en Arménie
Si les Arméniens participent activement à la vie publique suédoise, les Suédois, de leur côté, ont toujours manifesté de l'intérêt pour l'Arménie. Heinrich Brenner (1669-1732), diplomate et philosophe originaire d'Uppsala, traduit de larges extraits de l'Histoire d'Arménie, un manuscrit de Movses Khorenatsi datant du Ve siècle.
Un autre suédois d'Uppsala, Olav Celsi (1670-1756), universitaire et théologien, non seulement écrit sur l'histoire de l'Eglise Arménienne, en intégrant les ouvrages de Khorenatsi et Nersess Shnorhali (catholicos d'Etchmiadzine au XIIe siècle), mais étudie aussi les structures hiérarchiques de l'Eglise arménienne.
C'est peut-être cet intérêt pour l'histoire et les institutions religieuses arméniennes qui attire en Arménie les missionnaires suédois. Lars Erik Hogberg et N.F. Hoijer sont les premiers venus sur le territoire transcaucasien en 1886. De multiples articles écrits par d'autres missionnaires paraissent dans la presse suédoise, relatant les souffrances du peuple arménien. De nombreux Suédois partent vers le Caucase, cornme Elin Anna Charlotta Sundvall (1853-1921) qui se dévoue pendant trente ans à Etchmiadzine, Erevan, Shushi et d'autres villes arméniennes. Ou encore Alma Johansson(1881-1974).
La tombe de cette dernière, située dans le cimetière de Stockholm, fait d'ailleurs l'objet d'un culte particulier: une fois par an, les Arméniens viennent s'y recueillir en souvenir de son dévouement pour les orphelins arméniens du génocide de 1915.


Autrefois, ils se respectaient, mais les temps ont bien changé. Désormais, Arméniens et Suédois s'ignorent. Les nouveaux Immigrés se heurtent à des valeurs et à un mode de vie qui les désarçonnent. Ils se sentent isolés, parfois rejetés, dans l'un des pays les plus hospitaliers d'Europe.
Les Arméniens ne se lient pratiquement jamais avec les Suédois. Ces derniers ne sont pas aussi bienveillants que d'autres peuples. Parti du Liban, Joseph Aroyan n'a que 17 ans quand il arrive en Suède. Aujourd'hui, vingt-cinq années plus tard, il a beau parler couramment le suédois, posséder un atelier de cordonnerie à Stockholm, il n'en est pas moins retourné dans son pays d'origine pour épouser une Arménienne...

Pas d'amis suédois
Bedros Abajian, lui, vit en Suède depuis 1986. Ancien enseignant, il a passé le plus clair de son temps à publier, pratiquement seul, le mensuel Husapayl pour faire circuler l'information arménienne. Comme la plupart de ses compatriotes, Bedros n'a pas d'amis suédois : "Pour la première génération d'Arméniens, l'intégration est pratiquement impossible, même si nous avons le droit de vote. Notre seul contact avec les Suédois est le monde du travail."
Ils se sentent rejetés, parfois méprisés. Briser les barrières ethniques n'est jamais un exercice facile. Il n'y a pas si longtemps, il suffisait d'avoir les cheveux noirs pour être assimilé à un étranger! Certains Arméniens de Suède éprouvent même de l'amertume envers leur pays d'accueil. Des illusions perdues, une famille délaissée, un pays si lointain. Ils se replient alors sur leur propre communauté et lancent des journaux. Une manière d'affirmer haut et fort leurs racines, à la barbe des Vikings ! Choc des cultures. Le brun est ici minoritaire. Et les minorités cherchent rarement à s'unir. "Cela peut sembler bizarre, mais les Arméniens venus de différents pays du Moyen Orient ne se mélangent pas. A Uppsala, nous avons de la chance, car 95 % de notre communauté vient d'Iran. Mais ailleurs les origines sont plus diversifiées" , affirme Garo Hakopian, un "Arméno-suédois" .

Un véritable dilemme
Suède, terre d'accueil. Sur 9 millions d'habitants, plus de 10 % sont d'origine étrangère. Et pour la première fois depuis 1986, le nombre d'immigrés non européens a dépassé celui des européens. Par vagues successives, Kurdes, Syriens, Palestiniens, Arméniens en provenance d'Iran, d'Irak et du Liban, voire d'Arménie, ont débarqué dans le pays.
Le modèle suédois vacille. Epargné jusque là, il accuse un taux de chômage de ...10 % ! "Dans sept ans, il faudra s'attendre à une forte baisse des salaires ou à une augmentation des taxes", annonce le Premier ministre suédois. Ce fameux modèle, où la protection sociale prend en charge le citoyen du berceau au tombeau, est confronté à un véritable dilemme.
Une page est tournée. Et les Suédois, qui s'étaient toujours bien accommodés de leurs immigrés, se crispent. Ceux du Moyen-Orient, derniers arrivés, ne sont pas forcément les bienvenus. Culture, traditions, langue et mode de vie, tout les sépare. Indifférence de part et d'autre. Conscient de ces mutations, le gouvernement suédois a mis au point quelques mesures ambitieuses pour accélérer le processus d'intégration. Cours de langue obligatoires, par exemple. En vain. Les émigrés venus du Moyen Orient restent encore isolés et sans réel contact avec la société.

Dans ce contexte, les jeunes immigrés arméniens subissent une profonde crise d'identité. "Les adolescents vivent comme des Suédois à l'école, alors que leurs parents essaient de les lier à la tradition arménienne. C'est un équilibre difficile à trouver", raconte Aram Kurkjian, un analyste financier.
Lui, en revanche, s'est plutôt bien intégré. Preuve que tous les Arméniens de Suède (plus de 8 000 personnes) ne se sentent pas totalement rejetés par leur pays d'accueil. Bijoutier à Istanbul, le père d'Aram s'est installé ici en 1949, avant d'épouser une Suédoise. Un exemple parfait d'intégration. Blond, les yeux bleus, héritage de sa mère, Aram fait même couleur locale. Il est pacifique, calme et posé. "Je n'ai même pas le nez arménien !", plaisante-t-il. A l'université, tous ses amis étaient suédois. Son père, pourtant, l'emmenait régulièrement à Istanbul rencontrer sa famille et ses amis. Des voyages qui l'ont marqué. Aram fouille dans les livres anciens. Plus il lit, plus il se rapproche de ses origines. Son identité actuelle n'est pas immuable. "Je me sens désormais à l'aise dans les deux cultures", reconnaît-il. Au bout d'un long cheminement intérieur.
Un signe ? Il finit par épouser une Française d'origine... arménienne ! "Regardez la jeunesse arménienne en France ou aux Etats-Unis, ils sont les purs produits de leur environnement. Et, pourtant, ils n'ont pas perdu la conscience de leur identité. C'est ce que nous voulons instaurer ici." Une détermination nouvelle. A l'image d'une génération, qui redécouvre le chemin de son passé.

ligne