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Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)

Arménie - Religion
Les traductions de la Bible

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La reine des traductions
Au dire des historiens arméniens du Ve siècle, le premier texte traduit en arménien a été la Bible. Et elle a fait l'objet d'un grand nombre de travaux d'érudition depuis le milieu du XIXe siècle. Au début du XVIIIe siècle déjà, M. V. La Croze qualifiait l'ancienne traduction arménienne du Nouveau Testament de "Reine des traductions": "La version arménienne est, selon moi, la reine de toutes les versions du Nouveau Testament."

Bapteme du Christ
Le Baptême du Christ, tiré de l'Evangile de Skewra, 1198
Adolescents dans la fournaise
Trois adolescents dans la fournaise, Miniature arménienne datant de 1286
L'Arménie était entourée de puissants voisins: l'Iran sassanide, au sud et à l'est, et l'Empire romain, puis byzantin, à l'ouest. Elle était soumise à la fois à leurs agressions et à leur influence politique, économique, religieuse et culturelle. La rivalité continuelle entre les Romains et les Iraniens aboutit à la division du pays en 387, lorsqu'un cinquième de l'Arménie passa sous la souveraineté de Byzance.
La division eut des conséquences tragiques pour l'Arménie. Chacune des deux grandes puissances voulut donner aux affaires politiques, militaires, socio-économiques et religieuses de son secteur la tournure la plus favorable à ses propres intérêts. Cette situation politique créa en Arménie une séparation religieuse et culturelle qui, à son tour, entrava l'évolution de la conscience nationale et le développement culturel du pays. Nous lisons dans Moïse de Khoren (Historien arménien du Xe siècle (?), qui nous renseigne sur la situation au moment de la traduction de la Bible) :
"A la mort du roi Arshak, Shapuh (le roi de Perse) réunit une grande armée sous le commandement de Mehrovjan et l'envoya en Arménie... Il promit à Mehrovjan le trône dArménie, s'il se montrait capable de soumettre les princes, et de convertir le pays à la religion zoroastrienne... Mehrovjan brûla tous les livres dans le pays. Il leur ordonna de ne plus enseigner le grec, mais seulement le persan. 'Personne ne devra plus parler ni traduire le grec'; dit-il. Il utilisait ce prétexte pour que les Arméniens ne connaissent plus les Grecs et ne puissent pas établir avec eux des relations amicales. En réalité, il voulait réduire à néant l'enseignement chrétien ; car à cette époque les Arméniens n'avaient pas d'alphabet ni de littérature propre et la langue de l'Eglise était le grec."

Une Eglise persécutée, les Ecritures brûlées
Moïse de Khoren rapporte aussi qu'au retour de son expédition missionnaire en Albanie du Caucase, Mesrop Machtots, l'inventeur de l'alphabet arménien, vit que le grand patriarche, le catholicos Sahag était en train de traduire les Ecritures syriaque, parce qu'il ne restait plus de livres grecs en Arménie.

Soit le grec, soit le syriaque...
Le christianisme avait été proclamé religion d'Etat par décret royal au début du IVe siècle de notre ère (301). Après la conversion au "christianisme", des écoles furent créées pour former le clergé. La langue dans laquelle cet enseignement était dispensé était soit le grec soit le syriaque, suivant la situation géographique de l'école. Les provinces du sud et de l'est, qui étaient proches de l'Iran, et où le christianisme avait pénétré par le sud, principalement d'Edesse ou de Nisibe en Syrie (par l'intermédiaire de missionnaires syriens), utilisaient le syriaque comme langue liturgique et pour l'enseignement dans les écoles.
A l'ouest et au nord, c'est-à-dire dans les provinces voisines de la frontière orientale de l'Empire romain, où le christianisme était arrivé par Césarée, Sébaste et Mélitène, la langue de la liturgie et de l'enseignement était le grec. Faustus de Byzance, l'un des historiens arméniens du Ve siècle, dit que Nersès le Grand "ouvrit dans de nombreuses localités des écoles de langue grecque et syriaque, dans tous les cantons de l'Arménie".

" Incapables de comprendre la moitié d'un mot!"
Lazare de Pharbe, autre historien du Ve siècle, rapporte que Machtots était triste et profondément troublé à la vue des énormes et vains efforts du clergé arménien "qui à grands frais, au moyen de voyages au loin et d'une inutile dispersion dans le travail, perdait son temps à apprendre la langue syriaque, parce que la langue liturgique de l'Eglise et celle des lectures dans les monastères était le syriaque. En conséquence, les Arméniens ne pouvaient rien en comprendre ni en retirer aucun bienfait, le syriaque leur étant inintelligible."
Ce témoignage est confirmé par Faustus de Byzance, qui raconte que le peuple arménien, converti par décret royal, en l'absence d'une ferme conviction dans cette foi nouvelle, ne disposait pas des Ecritures dans sa propre langue et ne pouvait donc pas comprendre le contenu de cette religion. Les gens instruits étaient seuls capables de suivre la liturgie, alors que les masses qui ne savaient ni le grec ni le syriaque étaient incapables de comprendre "un seul mot, la moitié d'un mot, pas même une bribe". Le résultat fut la réapparition de pratiques païennes.

L'invention de l'alphabet arménien
La nécessité d'un alphabet propre à l'arménien était évidente. Machtots inventa l'alphabet arménien au début du Ve siècle (entre 405 et 412), dans le but spécifique de traduire les Ecritures.

Machtots
Tableau représentant Mesrop, qui, selon la tradition, a reçu la révélation de l'alphabet arménien. (Cathédrale St-Grégoire, Antélias, Liban). (Photo: M. Hoegger)
Etchmiadzine
Intérieur de la cathédrale d'Etchmiadzine, siège de l'Eglise arménienne apostolique et du catholicos, patriarche de Tous les Arméniens

Il y a deux sources pour l'étude de la traduction arménienne de la Bible:
- les historiens arméniens du Ve siècle comme Korioun, Lazare de Pharbe et Moïse de Khoren;
- le texte même de la Bible.
Korioun, le disciple de Mesrop Machtots, écrivit la biographie de son maître vers 443-448. Pour pouvoir apprécier la valeur du récit, il est essentiel de citer:
"Le bienheureux Machtots, avec la permission du roi et le consentement de saint Sahak, emmena avec lui un groupe de jeunes gens et, après avoir pris congé avec un saint baiser, il se mit en route dans la cinquième année de Vramsapuh, le roi d'Arménie. Il alla dans le pays d'Aram jusqu'à deux villes de Syrie, la première porte le nom d'Edesse et la deuxième celui d'Amid (Edesia: Edesse et Urha - aujourd'hui Ourfa en Turquie- ; Amid: Diarbeltir, en Turquie également). Il alla se présenter aux saints évêques, celui de la première ville s'appelait Babilas, et celui de la seconde Acace... Il répartit ceux qu'il avait emmenés en deux groupes, il en désigna certains pour étudier le syriaque à Edesse, et les autres il les chargea d'étudier le grec et les envoya à la ville de Samosate."
C'est pendant son séjour à Edesse que Machtots inventa l'alphabet qui permettait de rendre par écrit toutes les subtilités de la prononciation arménienne. Chacun des éléments du système phonétique était pourvu d'un signe particulier, en tout trente-six lettres. Machtots, équipé de son alphabet, rassembla les disciples qui étaient restés pour étudier le syriaque, puis rejoignit les autres à Samosate. Là il rencontra un scribe et grammairien grec du nom de Hropanos, qui l'aida à affiner encore les formes des caractères. Ce fut à Samosate que Machtots se lança dans la traduction de la Bible avec la collaboration de deux de ses disciples, Voyhan et Yovsep.

L'Arménie devint merveilleuse!
Comme on peut le lire dans la biographie écrite par Korioun, "il entreprit la traduction des Ecritures en commençant par les Proverbes de Salomon. Au commencement de son livre, Salomon recommande de se familiariser soi-même avec la sagesse en affirmant `pour faire connaître la sagesse et l'instruction, et pour comprendre des paroles sensées'. Ce verset a été écrit de la main de ce même scribe qui, au même moment, apprenait aux jeunes gens comment écrire les lettres."
Il est intéressant de noter que la langue sur laquelle la traduction des Proverbes a été faite n'est pas mentionnée par les historiens. Samosate est, certes, une cité syrienne, mais à cette époque (Ve siècle), elle faisait partie de l'empire byzantin, où le grec était devenu prédominant. Du fait que Korioun indique d'abord que Machtots avait séparé ses disciples en deux groupes - l'un devant étudier le syriaque et l'autre le grec - et ensuite que Yovsep et Eznik allaient être envoyés en Syrie pour traduire les couvres des Pères syriens, on serait tenté de supposer que le fond de la première traduction était syrien - vieux syriaque, grec syriacisant; à moins d'imaginer qu'il s'agissait de la mise par écrit de ce qui était déjà bien connu oralement sur la base du vieux syriaque! Machtots et ses disciples retournèrent en Arménie pour continuer le travail de traduction. Korioun continue son récit: "A cette époque-là la terre bénie et désirable d Arménie devint vraiment merveilleuse; car par l'intermédiaire des deux compagnons (saint Sahak et Machtots) y arrivèrent subitement le législateur Moïse avec la troupe des prophètes, l'éclaireur Paul avec toute la cohorte des apôtres, ainsi que l'Evangile du Christ qui sauve le monde. Ils se mirent tous à parler l'arménien."
Les spécialistes de l'arménien considèrent comme établi qu'il y a eu deux traductions successives des Ecritures en arménien: la première consista en une traduction hâtive entreprise avant le Concile oecuménique d'Ephèse en 431; la deuxième, une révision importante faite sur la base des manuscrits "sûrs, fidèles et authentiques" rapportés de Constantinople par la délégation arménienne au Concile d'Ephèse. L'étude des relations entre la traduction de la Bible en arménien classique et le syriaque nous amène à conclure qu'il y a d'importants vestiges du syriaque dans le texte de l'ancienne traduction arménienne de la Bible.

Les traductions arméniennes modernes de la Bible
Il existe deux variétés d'arménien: l'arménien oriental, parlé en Arménie même, et l'occidental, parlé par les Arméniens de la diaspora. L'histoire de ces deux langues modernes (par opposition à l'arménien "classique" de la traduction de la Bible, voir ci-dessus) remonte au début du XIXe siècle. La traduction en arménien classique (le "grabar") fut la seule traduction durant 15 siècles: on imagine bien son importance exceptionnelle pour la langue et la culture arméniennes. La plupart des traductions modernes ont été faites à partir du modèle classique.

La première traduction en arménien oriental fut l'oeuvre d'un missionnaire suisse: A. Dittrich, de la Mission de Bâle (fondée en 1816). Cette mission avait commencé à travailler dans la région transcaucasienne dès 1820. Dittrich fut aidé par deux éminents écrivains arméniens: le diacre Movses et le pasteur Amirkhaniantz, avec lesquels il a traduit puis révisé le Nouveau Testament.
La Société biblique britannique et étrangère publia en 1834, à Moscou, une édition bilingue du Nouveau Testament en arménien classique (grabar) et en arménien oriental. D'autres éditions de la même traduction furent publiées à Constantinople et à Calcutta. Elle fut traduite à partir du texte arménien classique. Plus tard, Amirkhaniantz la révisa à partir de l'original grec et la publia en 1883 à Constantinople. Une année après, il publia dans la même ville l'Ancien Testament traduit de l'hébreu. Cette Bible a été réimprimée un grand nombre de fois jusqu'à nos jours.

Traduction du Nouveau Testament
En 1975 parut avec la permission du catholicos de toute l'Arménie, Vazken 1er, une traduction du Nouveau Testament éditée par l'Alliance biblique universelle. Cette traduction faite à partir de la Bible en arménien classique est maintenant révisée et attend sa publication ainsi que celle de l'Ancien Testament. Parmi les traducteurs de l'Ancien Testament - un groupe de professeurs de l'Académie théologique d'Erevan et de l'Université - on trouve Levon Ter-Petrossian, ancien président de la république d'Arménie, ancien professeur de l'Académie théologique.

Les traductions en arménien occidental
C'est à Venise, dans le couvent des mékhitaristes,que le père Zohrabian commença à traduire des récits de l'Ancien Testament en arménien moderne occidental.

Saint-Lazare
Venise, le monastère Saint-Lazare (San Lazzaro degli Armeni) construit par l'abbé Mekhit'ar, entre 1717 et 1740, sur les ruines d'une léproserie. Dès lors, la Congrégation mekhit'ariste fut un foyer culturel et spirituel sans égal dans la diaspora arménienne. (Ed. Mekhitaristes)
Encouragé dans son oeuvre par des représentants de la Société biblique britannique et étrangère, il traduisit en 1825 le Nouveau Testament, qui fut imprimé la même année à Paris par ladite Société biblique, dans une édition bilingue (grabar/ arménien occidental).
La traduction de l'Ancien Testament, quant à elle, fut achevée en 1849, sous la direction d'un américain, le pasteur Elias Riggs. Il s'était fait aider par le pasteur protestant Mgrditch Kiretchian, auteur de la première grammaire de l'arménien occidental. La Bible tout entière parut en 1853 à Smyrne. Contrairement au Nouveau Testament de Zohrabian - basé sur l'arménien classique - la traduction de Riggs se voulait fidèle aux langues originales, l'hébreu et le grec. Cette traduction, de type très littéral, fut réimprimée durant 126 ans avec des révisions linguistiques mineures.
En 1978, l'Alliance biblique universelle entreprit une révision de cette traduction, qui parut en 1981 à Beyrouth.

Un exemple de collaboration
Si aux XIXe et XXe siècles, deux autres traductions faites sur les langues originales parurent en arménien occidental (les Psaumes et l'Evangile de Marc), on ne vit pas moins de douze traductions nouvelles faites à partir de la traduction en arménien classique.
La dernière en date est une traduction pour un lectionnaire. Dans sa préface, le catholicos de Cilicie, Karekin II, expliquait dans quel esprit la collaboration avec l'Alliance biblique universelle a été vécue, ainsi que les principes qui ont présidé à cette traduction: "Elle est fondée sur l'original en grabar; pour l'Ancien Testament, nous l'avons comparée avec la Septante et le texte massorétique hébreu, et, pour le Nouveau Testament, avec l'édition critique du texte grec. Nous avons aussi consulté la Vulgate latine, les traductions en français, anglais, italien, grec moderne et diverses traductions arméniennes."

Manuel M. Jinbachian, conseiller en traduction de l'Alliance biblique universelle


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