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Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)

Edgar HILSENRATH
( 1926 - 2018 )

L'auteur

Edgar HILSENRATH --- Cliquer pour agrandir
Naissance le 2 avril 1926 à Leipzig (Allemagne), décès le 30 décembre 2018 à Wittlich (Allemagne)

Il réside et travaille actuellement (2004) à Berlin
D’origine juive, il fuit les persécutions nazies vers la Roumanie en 1938
1941 : Déportation dans le ghetto. 1945-47 émigration en Palestine.
1951 : Emigration vers New York. 1975 : Retour en Allemagne
Il est l’auteur de nombreux romans, parmi lesquels La Nuit (Die Nacht), Le Nazi et le Barbier (Der Nazi & der Friseur).

En 1989 il publie le Conte de la Pensée dernière (Der Märchen vom letzten Gedanken) qui traite du génocide des Arméniens par les Turcs en 1915.

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Livre numéro 2115
Edgar HILSENRATH --- Cliquer pour agrandir Le Conte de la dernière pensée
 
Titre : Le Conte de la dernière pensée / auteur(s) : Edgar HILSENRATH -
Editeur : le tripode
Année : 2015
Imprimeur/Fabricant : 14-Condé-sur-Noireau : Impr. Corlet
Description : 560 pages, couverture illustrée en couleurs
Collection :
Notes : Traduction (revue) de Bernard Kreiss, Traduction de : "Das Märchen vom Letzten Gedanken" ; Glossaire
Autres auteurs :
Sujets : Génocide arménien
ISBN : 9782370550484
Bibliothèques : Consultable à la Bibliothèque de la Cathédrale apostolique arménienne, Paris
Catalogué à la Bibliothèque Nationale de France
Prix : 24,00 euros

Commentaire :

Le vieux Thovma Khatisian n’est plus particulièrement séduisant. « Tu es affreux, Thovma Khatisian. Aucune femme ne s’éprendrait de toi, à part ta mère. Tes yeux sont chassieux et rivés au sol. De ta bouche entrouverte s’écoule de la salive puante. » Le pauvre bougre est même sur le point d’expirer. Et il se souvient dans une dernière pensée de sa vie tumultueuse. Né en 1915, durant le génocide arménien, il porte dans sa chair la mémoire d’un peuple décimé...

Livre numéro 342
Edgar HILSENRATH --- Cliquer pour agrandir Le conte de la pensée dernière : roman
Titre : Le conte de la pensée dernière : roman / auteur(s) : Edgar HILSENRATH - trad. de l'allemand par Bernard Kreiss
Editeur : Albin Michel
Année : 1992
Imprimeur/Fabricant : 18-Saint-Amand-Montrond : Impr. BCA
Description : 478 p. 24 cm
Collection : Les grandes traductions ISSN = 0765-1762
Notes :
Autres auteurs :
Sujets : Génocide arménien
ISBN : 2226058494
Bibliothèques : Consultable à la Bibliothèque de la Cathédrale apostolique arménienne, Paris
Catalogué à la Bibliothèque Nationale de France
Prix : 22,90 euros
Achat possible sur : Amazon

Commentaire :

Best-seller en Allemagne, récompensé par le prix Alfred-Döblin, plus haute distinction littéraire allemande, déjà traduit dans plusieurs langues et bientôt en arménien, "Le Conte de la pensée dernière" d'Edgar Hilsenrath, est un prodigieux roman et un hommage bouleversant à l'histoire et à la mémoire du peuple arménien. Un voyage tendre et cruel, généreux, naïf et truculent au bout des mille et une nuits de l'Arménie.

Rencontre avec son auteur

Les Nouvelles d'Arménie.- Comment un juif allemand qui n'a aucun lien avec l'Arménie décide-t-il un jour de s'investir aussi personnellement dans l'histoire d'un peuple qui n'est pas le sien?
Edgar Hilsenrath. - Au début des années 70, j'avais déjà écrit deux romans sur l'holocauste juif: "Nacht", fondé sur ma propre expérience dans le ghetto juif en Ukraine, et "Le Nazi et le Barbier". Je n'avais plus envie d'écrire sur le sujet. En revanche, j'avais été frappé par l'ignorance générale sur la question de l'holocauste arménien. Et je me suis dit que je devais faire quelque chose sur ce génocide oublié et méconnu.
J'avais lu "Les 40 Jours du Moussa Dagh", de Franz Werfel, et je pensais qu'il fallait écrire un roman dans un style et une langue plus modernes, plus actuels. A l'époque, j'étais aux Etats-Unis. J'ai commencé a faire des recherches, mais toute ma documentation était essentiellement historique. Cela ne suffisait pas à constituer l'âme d'un récit. J'avais proposé un synopsis à des éditeurs américains, mais ils voulaient une histoire plus réaliste.
En 1975, je suis retourné en Allemagne pour y faire publier "Le Nazi et le Barbier". J'ai trouvé un éditeur qui voulait me faire signer un contrat pour quatre livres. II en manquait un, j'ai donc proposé le roman sur le génocide arménien. Mais cet éditeur a fait faillite! Des années plus tard, reconverti dans le cinéma, il est venu me proposer d'acheter tous les droits cinématographiques de mon roman arménien que je n'avais toujours pas écrit ! Nous avons alors passé un engagement: il récupérait tous les droits pour le cinéma et en échange il finançait la rédaction du livre pendant deux ans. On était en 1984 et je me suis vraiment attelé à la tâche à partir de ce moment-là.

LNA- Votre livre est stupéfiant de détails sur la vie quotidienne dans les villages arméniens, les coutumes, les rituels, les traditions ancestrales. A croire que vous y avez vécu personnellement ! Avez vous recueilli des témoignages d'Arméniens? Quelles ont été vos sources de travail et de documentation ?
EH- Mes sources sont presque exclusivement livresques. J'ai trouvé l'essentiel de ma documentation ethnographique dans les bibliothèques de San Francisco, à travers des ouvrages sur la vie quotidienne des Arméniens dans l'Empire ottoman, des récits de missionnaires, de voyageurs, des journaux, des autobiographies, et bien sûr tous les rapports historiques et diplomatiques sur le génocide comme le rapport de Leipsius. J'ai vécu une partie de mon enfance en Roumanie et cela m'a aidé parce qu'il y avait certaines ressemblances entre les coutumes arméniennes et celles des petites communuatés juives en Roumanie.

LNA- Les Arméniens ont été fascinés par votre virtuosité à vous mettre dans la peau d'un des leurs...
EH - Mais j'étais un des leurs! J'étais un Arménien au moment du génocide pendant toute la rédaction du livre !

LNA- Et vous vous sentiez comment ?
EH - Moins qu'un chien...

LNA- En choisissant d'écrire ce livre sur le mode du conte oriental, vous restituez aux Arméniens non seulement leur mémoire et leur histoire, mais aussi la saveur, la richesse et le mystère de cet Orient dont ils sont issus...
EH - C'était très important pour moi de replacer le livre dans le cadre de l'Orient. Werfel avait choisi comme héros un Arménien imprégné des valeurs occidentales et une Française, et la trame de son récit était donc plus "occidentale". Et puis, le conte est un style littéraire qui se prête aux excès, qui permet les libertés. Peut-être que la cruauté aurait été trop terrible à décrire autrement...

LNA- Vous vous êtes rendu en Turquie en 1985 pour la préparation du livre. Comment s'est passé votre voyage ?
EH - J'y suis resté six semaines; j'ai visité Van, Erzeroum, Diyarbekir, Kars. 11 existe des Arméniens qui cachent leur identité, mais j'en ai reconnu beaucoup à leur yeux ! J'ai été impressionné par la négation absolue de la question arménienne en Turquie. La version officielle est qu'il y a eu des affrontements entre les Arméniens et les Turcs pendant la Première Guerre mondiale, avec des pertes des deux côtés. Si vous demandez qui a construit les églises, on vous répond: ce sont des chrétiens qui ont émigré. Dans notre groupe, un des Allemands possédait un exemplaire du journal "Stem", où se trouvait, par le plus pur hasard, un article consacré aux Arméniens. On le lui a confisqué! Plus tard, à Van, j'ai demandé a notre guide quels étaient les vestiges et les ruines qu'on voyait depuis la montagne de la citadelle. Je savais qu'il s'agissait de la vieille ville arménienne de Van. II m'a répondu qu'il y avait eu un tremblement de terre qui avait détruit une partie de la ville. Comme je lui faisais remarquer que les trois mosquées situées au même emplacement étaient intactes, il m'a rétorqué sans rire qu'Allah les avait protégées !

LNA- Comment votre livre a t il été accueilli par les Turcs a sa sortie ? Votre éditeur a-t-il subi des pressions?
EH - Aucune. Pourtant, nous nous y attendions. Certains de mes amis m'avaient même prédit que j'allais devenir un nouveau Salman Rushdie! Mais les Turcs sont devenus plus intelligents. Ils ont compris que toute intervention de leur part ferait de la publicité au livre. Ils l'ont traité par le silence. Les intellectuels turcs que je connais à Berlin ont eu la même réaction. Je sais qu'ils ont lu le livre, mais ils ne m'en parlent jamais.

LNA- Tant que la Turquie n'aura pas reconnu son crime, les Arméniens seront dans l'incapacité de faire leur deuil de ce génocide. Quel est votre sentiment sur la non reconnaissance de ce que vous qualifiez vous mêmes d'holocauste arménien ?
EH - Je crois que le génocide est une question douloureuse qui continuera de se transmettre de génération en génération. Le problème des Arméniens est qu'ils ne se sont jamais sentis vengés. Mais peut-on se venger d'un meurtrier qui est mort? Les Arméniens souffrent d'un profond sentiment d'injustice. Ce génocide doit absolument être reconnu.

LNA- Vous êtes un rescapé des persécutions nazies. Quel a été votre itinéraire pendant et après la Seconde Guerre mondiale.
EH - Je suis né en Allemagne, à Leipzig. En 1938, j'ai fui en Roumanie pour échapper aux Allemands. Mais les Roumains avaient eux aussi décidé de régler leur question juive: ils nous ont déportés en Ukraine et installés dans un ghetto encerclé par l'armée. La seule manière de s'alimenter était de sortir du camp la nuit pour faire du marché noir dans les villages alentours. Nous avons été "libérés" par les Russes en 1944 et nous avons suivi à pied la progression de leur armée jusqu'à Bucarest.
De là je me suis rendu à Sofia. Les Russes ont ensuite voulu procéder à des arrestations pour envoyer des d'hommes en Sibérie. Je me suis échappé, je suis parti en Turquie et de là j'ai pris le chemin de fer pour Bagdad avant de rejoindre la Palestine. Je faisais partie des premiers groupes de survivants juifs à parvenir en Palestine.
Des années plus tard, j'ai quitté Israël pour les Etats-Unis et je suis revenu m'installer définitivement à Berlin en 1975.

LNA- Est-ce cette communauté de souffrance entre Juifs et Arméniens qui est a 1'origine du "Conte de la pensée dernière". Quelle a été votre démarche personnelle ?
EH- J'écris sur la mémoire, j'écris contre l'oubli. Le génocide arménien s'est passé l'indifférence des nations. Celui des Juifs aussi. Sous Hitler, les grandes puissances avaient l'excuse de dire "Nous ne savions pas ce qui se passait". Aujourd'hui il faut dénoncer ces crimes pour qu'on ne se réfugie plus derrière des excuses. Chacun doit être mis en face de ses responsabilités.

LNA- Mais ce qui se passe aujourd'hui en Arménie est malheureusement la démonstration du contraire. La communauté internatiole est au courant, mais n'intervient pas plus. N'est ce pas désespérant ?
EH- Ce qui se passe aujourd'hui en Arménie avec le blocus est un second génocide par lefroid et la faim. Alors, bien sûr, c'est terrifiant. Mais je n'écris pas en pensant que le monde va s'améliorer. II ne faut plut qu'il y ait d'excuses.

LNA- Vous qui connaissez bien les deux, désormais, quelle est la différence entre un Juif et un Arménien ?
EH- Les deux sont très malins. Mais ils perdent toujours à la fin...!

LNA- Les Juifs aujourd'hui sont perdants, avec I'Etat d'lsraël ?
EH- Les Juifs ont beaucoup perdu avec l'holocauste. L'Etat d'Israël est une victoire. Mais je crains qu'elle soit provisoire. Je suis d'un naturel assez pessimiste ! Quand j'écrivais "le Conte de la pensée dernière", j'étais juif et arménien Je me sentais condamné à souffrir...

Propos recueillis par Valérie Toranian



Commentaire
Un plaidoyer subtil, par Antoine Spire , Journaliste à France-Culture (La Mémoire du siècle - Panorama)

A l'heure ou l'Arménie, une fois de plus, est en proie à une guerre dont on ne voit pas la fin, après un hiver pénible où famine et froid ont durement marqué un peuple éprouvé, il est bon de se laisser glisser dans la peau d'un paysan arménien du début de ce siècle, émigré aux U.S.A., mais accusé à son retour d'Europe en 1914 d'avoir assassiné l'archiduc Francois-Ferdinand d'Autriche à Sarajevo. Wartan Khatisian, revenu au pays pour épouser en secondes noces une jeune fille qu'il a jadis sauvée des flammes, est d'autant plus suspect qu'il a pris des photos de points sensibles de la côte turque lors de son arrivée en bateau.

Arrêté, il est torturé jusqu'à ce qu'il avoue avoir été le bras armé d'une Conjuration arménienne mondiale dont le but aurait été la perte de l'empire turc. Pour ceux qui savent que l'archiduc est en fait tombé sous les balles du terroriste Gavrilo Princip, ce trait d'imagination d'un fonctionnaire ottoman qui attribue le crime à un Arménien paraît grossier et peu convaincant, mais il va servir à justifier le génocide de 1915 au cours duquel périrent près d'un million deux cent mille Arméniens.

En fait, Edgar Hilsenrath, l'auteur du "Conte de la pensée dernière", se sert de cette trame pseudo-historique pour nous transporter dans l'Arménie du temps passé, aux traditions riches et foisonnantes où légendes et histoires se mêlent pour composer un univers contrasté. Le fils de Wartan dialogue avec la dernière pensée de son père qui va lui transmettre l'attachement à l'identité arménienne et le désir de défendre le souvenir d'un peuple exterminé. C'est un peu comme si, autour de ce père et de ce fils, toute l'histoire arménienne était convoquée. Pleine de bruit et de fureur, de tendresse et de cruauté, elle nous immerge dans une société de calmes pêcheurs après nous avoir confrontés à de terribles bandits kurdes qui peuvent aussi bien soutenir l'Arménien que le passer par les armes.

Les rites et les légendes de l'Arménie, colorés d'un humour paysan, alternent avec l'évocation de cet immense exode qui s'est prolongé pendant des décennies et a amené sur les routes la quasi-totalité du peuple arménien. Epuisés par la faim et la soif, poursuivis par les agents d'une autorité implacable, les Arméniens ont subi viols et supplices.

Le récit des massacres est à peine soutenable et le lecteur sort grandi de ce livre grâce au ton sobre et retenu de l'auteur. Le mélange d'évocations souriantes de la vie quotidienne et de descriptions du sort tragique des victime du génocide nimbe l'atmosphère qui fait alterner avec doigté le conte merveilleux et le récit réaliste. Hilsenrath sait aussi bien souligner l'indifférence des puissances étrangères aux drames que vivent les Arméniens, que nous emmener dans telle ou telle communauté pour partager la vie apparemment immuable des paysans et des artisans. Le héros du livre semble devoir échapper finalement à toutes les persécutions et se sortir des prisons et des exécutions sommaires dont on le menace. A la fin de sa vie, il va se rendre à Varsovie aider ses amis juifs enfermés dans le ghetto.
Et le voila par l'erreur d'un nazi transformé en fumée d'unfour crématoire. Mais là encore rien ne se termine. L'âme indemne de notre héros va se voir confrontée à son dernier ennemi turc.

La truculence de ce livre, l'humour de son auteur se marient harmonieusement avec une plaidoirie subtile pour les victimes de tous les génocides. Comment ne pas se réjouir de voir aussi intelligemment rapprochées les causes du peuple arménien et du peuple juif.


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