En 1970, Zareh Mutafian publiait une brochure en arménien, intitulée «En Arménie avec le pinceau et la plume». Il y réunissait les articles qu'il avait écrits sur l'Arménie à la suite de sa première invitation à Erevan, le tout étant illustré de quelques photographies de tableaux, en noir et blanc et en petit format.
L'idée est ici reprise, amplifiée dans plusieurs directions.
Tout d'abord, l'iconographie. On trouvera ici beaucoup plus de reproductions de tableaux, étalés sur toute la carrière du peintre, même si parfois le lien avec l'Arménie est un peu lâche. La difficulté essentielle consistait à retrouver les tableaux: Zareh Mutafian ne gardait aucune liste, ne tenait aucun registre de ce qu 'il faisait, de ce qu'il vendait, voire de ce qu'il recouvrait (car malheureusement il lui arrivait de peindre un tableau sur une toile déjà peinte...). En ce qui concerne les paysages et monastères d'Arménie, le panorama est assez complet: ces œuvres sont relativement récentes, donc plus faciles à localiser. Les portraits, par contre, sont déjà en grande majorité plus anciens, et la recherche du sujet ou des héritiers afin de photographier le tableau relève souvent du travail de détective: c'est en particulier le cas de tous les portraits qu'il a exécutés à Milan et en Suisse avant la guerre. Parfois la chance a souri, mais dans la plupart des cas il ne reste, au mieux, qu'une photo en noir et blanc prise à l'époque (c'est le cas d'Archak Tchobanian), quand ce n’est pas une simple trace écrite (portrait des enfants du pasteur Kraft à Lausanne) ou pas de trace du tout.
Le choix des articles a été plus facile. La plupart datent des quinze dernières années et ont été publiés dans le journal Haratch dont il faut remercier la brillante directrice Arpik Missakian. La difficulté résidait ici dans la traduction, tant pour des raisons de langue que pour des raisons de style. La langue arménienne utilisée par Zareh Mutafian est très classique et truffée de mots peu courants. Bien que l'auteur n'ait jamais étudié au Collège Moorat-Raphaël des Mekhitaristes de Venise, la fréquentation de ce milieu mekhitariste l'a certainement aidé à acquérir cette pureté de la langue qui l'avait fait reconnaître dans le milieu intellectuel comme l'un de ceux qui maîtrisaient le mieux l'arménien occidental.
Quant au style, il est souvent, on le verra, très lyrique, parfois boursoufflé, d'une sensibilité à fleur de peau; il y a des envolées qui, traduites telles quelles en français, sombreraient dans le ridicule. Il faut bien sûr replacer tout cela dans le contexte d'un homme coupé de sa culture et se retrouvant face à tout ce qui l'a hanté. C'est là aussi ce qui permet de comprendre le «nationalisme» forcené qui règne sur beaucoup de passages: la répétition des «Arménie», «arménien», «arménité»... est nécessairement bien plus lourde en français. Car on oublie alors qu'il s'agit là d'une culture minoritaire, menacée de disparition, qu'un homme cherche désespérément à faire reconnaître en utilisant, toujours sincèrement mais souvent maladroitement, un langage répétitif.
Le XXe siècle n'est plus le Siècle des Nationalités, c'est celui des Etats, et une Culture sans Etat est considérée comme une aberration.
Ceci dit, la qualité des articles originaux est inégale. Ainsi, s'il est difficile de rester insensible à la poésie qui se dégage de la contemplation des ruines d'Ani ou aux sensations d'un rescapé du génocide devant le monument de sa Souffrance, d'autres articles sont moins captivants. Il y a aussi des répétitions d'un article à l'autre, mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit ici d'articles indépendants écrits à des dates diverses, et non de chapitres d'un livre continu. Ainsi, devant l'Ararat et devant l'Aragadz, les textes ont des analogies: c'est d'autant moins surprenant que ces deux montagnes ont bien des points communs.
Dans ces conditions, la traduction ne peut qu'être très «libre»: il s'agit de rendre en gros le sens tout en essayant à la fois de conserver le style et de le faire «passer» en français. Et bien sûr, on doit alors souvent s'écarter du texte au point de vue littéral. Le résultat est certainement inégal, dépendant à la fois de la difficulté de langue et de la qualité propre de l'article. De toutes façons, cette traduction aurait été impossible sans la collaboration de Madame Yevkiné Boghossian, dont la connaissance approfondie de la langue arménienne et la disponibilité pour ce travail ont été des éléments indispensables.
La biographie, elle, comporte des lacunes et des imprécisions. La raison en est simple: elle a été reconstituée en interrogeant des témoins et en faisant des recoupements, car Zareh Mutafian ne parlait jamais de son enfance. Ce traumatisme du génocide et de l'exil étaient si forts qu'il évitait d'évoquer son cas particulier et le récit de ses souffrances, il voulait qu'on se réservât pour une vision globale. Et il se déchaînait dès qu'il était question de Turcs ou de Turquie. Sans nuances.
En 1977, j'ai effectué un voyage en Asie Mineure, je suis passé à Samsun, à Unya, c'est-à-dire sur les lieux mêmes de son enfance. Il ne voulait pas que je lui en parle, il ne voulait pas voir de photos. J'ai retrouvé après sa mort, chez lui, une carte postale, que je lui avais envoyée du lac de Van, actuellement en Turquie. C'était l'Eglise d'Aghthamar, sur le lac. Il avait gardé la photo, mais le coin supérieur droit était coupé au ciseau: il ne supportait pas la vue de ce timbre frappé du drapeau turc au dos de la plus belle des églises arméniennes.
Claude Mutafian
Période italienne 1930-35
6 reproductions
Période suisse 1935-39
3 reproductions
Période des portraits 1939 - 50
13 reproductions
Portraits récents 1960 - 80
3 reproductions
Images du génocide 1939 - 70
8 reproductions
Eglises d'Arménie 1965-78
29 reproductions
Paysages d'Arménie 1962-78
, 16 reproductions
Derniers tableaux
4 reproductions