Étrange destinée que celle du peuple arménien, dont l'existence prouve que les civilisations ne sont pas nécessairement mortelles. Et pourtant l'histoire des Arméniens est jalonnée de tragédies, de persécutions, de déportations, de massacres qui auraient pu les engloutir à jamais. Ce numéro spécial leur est consacré. Il permet de suivre la très longue saga des Arméniens, depuis leurs origines jusqu'à nos jours. A juste titre, les Arméniens sont fiers de leur histoire. N'appartiennent-ils pas au premier peuple chrétien ? La nation arménienne, en effet, fut le premier royaume à se proclamer chrétien, dès l'aube du 4esiècle, avant l'Éthiopie! Et cette appartenance ne s'est jamais démentie au cours des siècles - donnant naissance à une superbe liturgie ainsi qu'à des œuvres d'art et à des édifices religieux qui font toujours notre admiration. L'Église arménienne a été et demeure le ciment le plus solide et le plus sûr de toute une communauté dispersée sur plusieurs continents. Évoquer l'Arménie, c'est bien sûr avoir en mémoire l'épouvantable tragédie de 1915, qui vit des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants obligés de quitter leur terre ancestrale, déportés dans les pires conditions, et très souvent massacrés. Ce drame, aucun Arménien ne veut et ne peut l'oublier ou l'effacer, quelles que soient les raisons avancées. La troisième génération, qu'elle soit américaine ou européenne, même lorsqu'elle est totalement assimilée, garde, comme une blessure mal fermée, le souvenir de ce qui est considéré comme le premier génocide des temps modernes.
Évoquer l'Arménie, c'est parler de cette diaspora où vivent des communautés vivantes et solidaires, fidèles à leur histoire et à leurs traditions. La population d'origine arménienne, vivant en France, s'élève à plus de 300 000 personnes très intégrées, dont certaines occupent des postes de premier plan, dans des secteurs aussi différents que le commerce, l'industrie, la politique, la presse, la chanson ou le cinéma. Des associations, des écoles, des journaux, des partis politiques, l'Église, les regroupent et les aident à garder leurs traditions, leur langue, leur foi et leur culture.
Évoquer l'Arménie, c'est aussi parler de la nouvelle république qui vient de sortir du giron de la défunte Union soviétique, et qui a recouvré sa souveraineté perdue en 1921.
Malgré les difficultés présentes, qui sont nombreuses, ce jeune État reste le témoin tangible et porteur d'espérance d'une civilisation et d'un peuple toujours bien vivants et dont la longue mémoire appartient au patrimoine de l'humanité.
Philippe BOITEL
Ce numéro doit beaucoup à Claude Mutafian, qui a participé à sa conception et à sa réalisation avec autant de compétence que de dévouement, s'ouvrant ainsi droit à la gratitude de la rédaction et des auteurs.