L’île de Ré et La Rochelle comme décor. Autour de l’atelier de reliure et Costa, Jean se retrouve plongé dans une obsédante recherche pour recouvrer la mémoire. Une malle, un carnet, des photos jaunies, quelques coupures de journaux, des protagonistes de pays lointains... À Chypre ou dans les rues d’Athènes, des prénoms d’ailleurs rappellent une douleur et un combat enfouis. Des armes, des diplomates, des attentats... un terrorisme oublié.
Ce récit haletant, enrichi d’éclairages couleur sépia, vient documenter une histoire qui trouve son origine il y a près d’un siècle, ressurgit dans les années soixante-dix et, « le temps passant », se conclut dans une capitale caucasienne à l’ombre d’une montagne symbole.
Dire son nom, c’est toujours retrouver ses origines.
Extrait
“Les cartes couvrent l’ensemble de la Méditerranée et en particulier l’île de Chypre. Un bref instant, à peine une seconde la vision d’une femme nue s’impose et disparaît. Des plans de Grèce, du Liban. La Crète, la Syrie et une région turque détaillée. L’Anatolie orientale. Dans une chemise en carton fort, il y a également une autre carte abîmée avec le tracé historique du pays confisqué. C’est un document qu’il reconnaît : cette carte ancienne était à son père, punaisée au-dessus de la console de l’entrée. La malle est bien à lui.”
Article Anahide Ter Minassian, France-Arménie, numéro 375, Mai 2011
Né à Bordeaux de parents arméniens, élevé entre l'île de Ré et La Rochelle, étudiant aux Beaux—Arts de Bordeaux, installé dans un village du Gard, Hairabédian est un nouveau venu dans la «communauté» arménienne. Ce grand gaillard d'une soixantaine d'années, de son état sculpteur de pierre, a accumulé les expériences littéraires, éditoriales et musicales et a dirigé des services de Radio France à Montpellier. C'est un écrivain français qui connaît la France d'en bas, ses solidarités et son langage, mais se souvient parfois des mots et des sons de son enfance arménienne C'est aussi un familier des technique du cinéma utilisées pour la construction du roman : découpage, séquence flash-back, arrêt sur image tiennent k lecteur en haleine. La couverture du livre — un photogramme du film Aram de Robert Kéchichian - confirme cet apport, ou même avoue son inspiration. Des phrases courtes une écriture claire, un phrasé musical disent la beauté des lieux familiers à Fauteur, de l'île de Ré à La Rochelle où, entre terre et mer, il a planté son héros — un homme traumatisé, au corps stigmatisé, privé de mémoire el de nom et à la recherche de son passé, que les services hospitaliers ont baptisé Jean Derés. Dans des circonstances romanesques, celui-ci découvre peu à peu son origine arménienne et sa véritable identité : Krikor Krikorian, né à Marseille dans une famille de rescapés de la route conduisant de Samsun à l'abattoir de Deir-Zor, durant le Génocide de 1915.
Hairabédian, sans appartenance politique et sans identité linguistique arméniennes, est un écrivain qui sait prendre de la distance par rapport à son sujet. Il le traite avec liberté, bouscule la chronologie, ne s'embarrasse pas de réalisme, ne craint pas les coups de théâtre, fait surgir et disparaître ses personnages. On ne résume pas Dis-lui son nom, comme on ne résume pas un thriller, genre auquel il s'apparente par le mystère, le rythme et la violence. Violence délibérée des terroristes arméniens, les `justiciers", Krikor, Achod, Aram, Azad, Dikran, Lévon, Garbis, du commando Tehlirian (NDLR : du nom le jeune Arménien qui exécuta Talaat à Berlin en 1921) dirigé par une femme, Ani, avec "la mémoire et la justice pour seuls arguments ". Violence sadique, prisons, tortures et humiliations imposées par des tueurs turcs ou autres. A la lecture de ce récit palpitant, on reste frappé par le travail de documentation réalisé par l'auteur. Qu'il s'agisse de la reconstitution du réseau arménien fonctionnant de Marseille à Athènes, de Chypre au Liban, des camps et des complicités avec les Palestiniens, les Chypriotes, les Grecs, les Basques ou encore de l'alliance des forces adverses des Loups gris turcs (devenus ici les Hyènes noires) à Tsahal. L'histoire est aussi traversée par un amour violent et éphémère entre Krikor et Ani. En 1989, au moment où tout commence à changer en Arménie, Krikor va à Erévan et contemple le Mont Ararat. A Montréal, Ani, rendue estropiée et aveugle, a mis au monde un garçon dénommé... Krikor !
Anahide Ter Minassian, France-Arménie, numéro 375, Mai 2011