Héritiers d'une tradition séculaire, empreintes manifestes de l'identité arménienne, les խաչքար (khatchkars, pierres à croix) sont le reflet de la foi d'un peuple et du culte de la croix dans la spiritualité arménienne.
Cet ouvrage présente la première étude approfondie d’un ensemble de khatchkars situés hors de la terre d’Arménie. Pas moins de 669 pierres à croix d’Ispahan et de Terre sainte s’y trouvent répertoriées, photographiées, décrites et analysées avec une grande précision terminologique.
Outre l’étude d’un corpus particulier et au-delà de la dimension patrimoniale, cet ouvrage propose la définition d’une typologie et d’un vocabulaire qui permettront de classifier et de caractériser d’autres ensembles de khatchkars à l’aide d’une terminologie unifiée et précise. Des planches schématiques illustrent la diversité des structures formelles et plusieurs répertoires présentent la richesse des ornements qui sont rigoureusement reproduits. La totalité des inscriptions est retranscrite et commentée, permettant ainsi de lever peu à peu le voile sur les secrets de ces témoins silencieux de l’histoire arménienne.
« Le principal intérêt des chercheurs était de préparer non seulement un dossier complet sur ces khatchkars de petites dimensions, mais aussi de fournir un outil fiable pour d’autres études, y compris celles concernant l’évolution du style et des compositions formelles. » (Dickran Kouymjian)
Cette contribution majeure consacrée aux pierres à croix arméniennes est le fruit d’une complicité entre deux chercheurs qui ont mis leur passion au service de ce patrimoine millénaire.
Haroutioun Khatchadourian est ingénieur Supelec de formation, spécialiste des systèmes d’information. Dès 1984, parallèlement à son activité professionnelle, il suit l’enseignement sur les arts arméniens à l’INALCO. Il effectue plusieurs missions en Arménie, en Turquie et en Iran dans le but de mener un travail archéologique spécifique sur les khatchkars.
Michel Basmadjian est directeur d’un établissement médico-social de protection de l’enfance. Intéressé très tôt par l’architecture médiévale arménienne, il s’engage dans l’étude des monuments et s’implique dans la diffusion de ce patrimoine particulièrement menacé en Turquie. Il suit l’enseignement sur les arts arméniens à l’INALCO et lors de ses nombreux voyages d’étude en Arménie, en Turquie et au Moyen Orient, il réunit une documentation riche et inédite sur les khatchkars.
Article Jean-Noël Kouyoumdjian, France Arménie, numéro 413, Novembre 2014
Fruit d'un travail de longue haleine, L'Art des khatchkars de Michel Basmadjian et Haroutioun Khatchadourian, est publié cet automne aux Editions Geuthner. Consacré aux pierres à croix d'Ispahan et de Jérusalem, le livre s'impose par sa rigueur scientifique et la qualité de ses textes et illustrations.
En titrant leur œuvre, Խաչքար, en caractères arméniens, Michel Basmadjian et Haroutioun Khatchadourian marquent leur souci d'aborder l'objet de leur étude, le khatchkar, la pierre à croix, dans son originalité intrinsèque, spécifique au christianisme arménien. Rien en effet n'est plus emblématique dans l'art arménien que ces pierres sculptées à motif de croix, qui se trouvent aujourd'hui disséminées sur tout le territoire de l'Arménie historique, mais aussi dans différents foyers diasporiques, tels que Jérusalem et Ispahan.
Dickran Kouymjian, dans sa préface, souligne que les khatchkars ont été développés "comme forme créative distincte, à compter de la seconde moitié du IXe siècle ", au moment du "rétablissement d'un royaume arménien indigène après deux siècles de domination par les califats arabes ". C'est aux Xlle-XIIIe siècles qu'ils prennent leur forme la plus aboutie, avant d'évoluer encore du XIVe au XVIIIe siècle, notamment au Nakhitchevan et en Iran. Près de 40 000 d'entre eux étaient recensés au début du XXe siècle, selon M. Kouymjian, mais leur nombre a grandement diminué suite aux destructions subies depuis le Génocide en Turquie, et plus récemment, en 2005, en raison du vandalisme des autorités azéries, lors de la destruction totale des khatchkars du cimetière de l'ancienne Djoulfa, au Nakhitchevan. D'où l'importance de cet ouvrage, car jamais jusqu'à aujourd'hui un tel effort de recensement systématique n'avait été entrepris.
Un ouvrage de référence
Il présente un "corpus ", c'est-à-dire un répertoire raisonné et exhaustif de l'ensemble des khatchkars sur un périmètre donné, en l'occurrence Jérusalem et Ispahan. Le choix de ces deux sites n'était pas dû au hasard : dans ces régions à risque, il y avait urgence à répertorier ces éléments constitutifs du patrimoine arménien. Ainsi, au cours d'une dizaine d'années, un premier travail minutieux de collecte a été effectué par Michel Basmadjian à Jérusalem, dans le quartier arménien de la vieille ville principalement, et par Haroutioun Khatchadourian à Ispahan, dans les églises de la Nouvelle Djoulfa. En tout, 669 khatchkars ont été répertoriés, photographiés, étudiés dans leurs moindres détails. Ce corpus "iconographique et épigraphique " est présenté dans son intégralité en fin de livre.
La seconde étape a été d'analyser cet ensemble de données afin d'effectuer une classification et d'établir une typologie. Le chapitre « Objet et représentation» s'attache ainsi à décrire la structure du khatchkar : sa base, son encadrement, son couronnement et le khoran, la partie centrale où se trouvent la croix et ses ornementations. Des planches et un lexique des termes utilisés sont joints à l'exposé. Après un chapitre évoquant les «Similitudes et disparités» des objets recueillis, tant au niveau de la datation, de l'emplacement, de la conservation, de la morphologie, des motifs ornementaux, les auteurs proposent un «Essai de typologie », en 18 types de ces pierres sculptées, appartenant à quatre familles : les primitifs, les élémentaires, les composés et les atypiques. Ces éléments sont sans doute complexes pour le néophyte, mais ils sont d'une grande portée scientifique ; ils conditionneront les recensements à venir de khatchkars d'autres régions, et seront un outil de synthèse pour les spécialistes.
Art et histoire
Le livre présente également des parties historiques sur Jérusalem et la Nouvelle Djoulfa, ainsi qu'une description soigneuse des différents sites où sont localisées les pierres à croix. Ainsi le chapitre «Stabilité et mouvement» présente l'histoire de la présence arménienne à Jérusalem (attestée dès le IVe siècle de notre ère) et à Ispahan, où les Arméniens d'une grande partie de l'Arménie historique furent déportés en Perse par Shah Abbas Ier à partir de 1603. Le chapitre met notamment en évidence les mouvements et échanges qui avaient lieu entre l'Arménie et ces deux cités diasporiques, notamment des pèlerins vers Jérusalem et des envoyés (nonces) du Patriarcat vers les villes arméniennes, ainsi que le rôle des marchands (khodjas) pour Ispahan.
Le chapitre «Espaces et objets» est l'un des plus intéressants. Il donne une description précise des lieux : de la ville, de l'édifice, et des khatchkars qui s'y trouvent, avec des plans et de belles illustrations. Ainsi sont décrits neuf édifices de Jérusalem, à commencer par le Saint-Sépulcre, et treize églises de la Nouvelle Djoulfa d'Ispahan, selon le même mode opératoire : d'abord l'édifice pour sa situation et son histoire, puis les khatchkars, pour leur nombre et emplacement, leurs caractéristiques, ornements et inscriptions, et leur typologie. Les plus beaux sont présentés avec leurs fiches détaillées. Les indications sont si précises que l'on pourrait prendre l'ouvrage comme un guide pour se déplacer sur les lieux. Par ailleurs, tout un appareil critique figure à la fin du livre : répertoire des ornements, index et bibliographie.
L’Art des khatchkars s'inscrit dans un recensement plus global des khatchkars d'Arménie. Nos deux auteurs ne pourront donc pas se reposer sur leurs lauriers. En tous cas, ce volume, dont une traduction devrait paraitre en arménien, comblera tout autant le spécialiste que l'amateur d'art.
Jean-Noël Kouyoumdjian, France Arménie, numéro 413, Novembre 2014