L'auteur | |
Le 22 octobre 1935, à l'Hôpital psychiatrique de Villejuif, près de Paris, s'éteignait Komitas, grand maître de la musique. arménienne. Soghomon Soghomonian, le futur Komitas, naquit le 26 septembre 1869 à Keutahia (Asie Mineure). Orphelin de mère à un an et de père à onze ans, cet enfant à la voix si belle fut accueilli en 1882 au Séminaire Patriarcal d'Etchmiadzine, et devint le soliste préféré du catholicos Kévork IV. Les séminaristes qu'il côtoie viennent de toutes les provinces. L'adolescent, enthousiasmé par la richesse et la diversité de leurs mélodies, se passionne et se met à les transcrire. Ordonné prêtre en 1892, il portera désormais le nom de Komitas. Le remarquant pour ses dons exceptionnels de musicien, un mécène enverra le jeune Komitas d'abord à Tiflis, centre culturel arménien, pour y parfaire ses connaissances musicales avec Makar Ekmalian, puis à Berlin, au Conservatoire, où il suit les classes de composition, de direction, de chant et de musicologie et, parallèlement, la philosophie à l'Université. Trois ans suffisent à ce génie pour devenir " docteur ". Il donne des conférences et participe à divers congrès internationaux, collabore à des revues, donne des concerts un peu partout en Europe. Revenu à Etchmiadzine en 1899, il se consacre à la musique populaire et liturgique, la purifie, la clarifie. De ville en ville, de village en village, parcourant toutes les régions du pays, il recueille de la bouche même des habitants les chants du terroir, quelquefois même en se cachant pour ne pas troubler les chanteurs, et transcrit des milliers de mélodies et leurs variantes, les décante, les restitue dans leur pureté originelle et constitue ainsi un inestimable trésor musical national. Et ce sont de nouveau des concerts: en Russie, en Italie, en Autriche, en Suisse, en Allemagne et enfin à Paris, en 1906, où toute la presse le salue. Louis Laloy, l'éminent musicologue déjà cité, lui consacre deux pages enthousiastes dans le Mercure Musical: De retour à Etchmiadzine, Komitas trouve une atmosphère hostile à son égard. Il part pour Constantinople afin d'y créer une institution arménienne de musique. Mais des difficultés l'obligent à y renoncer. Il crée alors la célèbre chorale " Goussan ", qui comprend 300 choristes. Partout, c'est la gloire. Lui, discret et digne, poursuit son labeur. En 1913, il parcourt de nouveau les provinces arméniennes et note de nombreux chants, danses et mélodies. Dans ses recueils, nous pouvons lire, noté par lui : " Nous avons personnellement transcrit ces mélodies telles que les paysans les chantent dans les villages. Dans l'harmonisation, nous avons eu le constant souci de maintenir le caractère et le style de cet art particulier qui se révèle dans les mélodies rustiques et qui porte un cachet nettement national. " Avril 1915 : c'est le début du génocide. Le R.P. Komitas, qui se trouve à Constantinople, est arrêté en même temps que 2500 intellectuels arméniens. Victime de la barbarie des Turcs, pour qui les talents artistiques de nos compatriotes semblaient des crimes impardonnables, Komitas est déporté, atrocement torturé, au point de perdre la raison. L'émotion soulevée dans les milieux internationaux par sa disparition l'arrache à ses bourreaux. Hélas! Il est trop tard. Le monde de la musique a perdu désormais l'un de ses plus grands génies. Komitas avait su retrouver les éléments les plus viables et les traits nationaux les plus caractéristiques de la musique arménienne; il en révéla les plus beaux morceaux, les travailla, les perfectionna. Dotées de la profondeur des créations populaires, de leur saveur et de leur sagesse, les oeuvres de Komitas sont de véritables modèles. Etendant son activité de multiples façons, le R.P. Komitas traça les voies de la musique nationale en tant que compositeur, créa l'ethnographie musicale arménienne, développa la musicologie, se révéla un chef exceptionnel de chorale, un chanteur virtuose et un pédagogue de talent qui sut préparer des musiciens qui, à leur tour, s'associèrent au développement de la musique. Le génie de ce grand maître continue d'inspirer de nos jours tous les compositeurs arméniens. Non contents de suivre son enseignement, ils lui empruntent souvent des mélodies pour en tirer des arrangements d'une heureuse inspiration. Par son travail acharné, éclairé, qui n'aurait pu être entrepris quelques années plus tard, Komitas, grand artisan du maintien de l'intégrité de notre patrimoine musical national, mérite bien le nom de " Sauveur du chant arménien " que lui ont conféré les musicologues. Musicologue, compositeur, chanteur, pédagogue, conférencier, ethnologue, source inépuisable du savoir et de la connaissance du chant arménien, tel est bien le Père Komitas, le " père et le maître " de notre musique populaire et nationale. Sirvart Kazandjian, Les Origines de la musique arménienne |
Livre numéro 1837
Livre numéro 1084
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